dimanche 30 décembre 2007

Matin de Noël

Matin de Noël

Ce matin de Noël 2007 m’enveloppe d’une lumière si douce, d’un calme si apaisant qu’il me faut l’écrire même si cela fait cliché. Grasse matinée pour moi : levé à sept heures et demie.

Mon petit déjeuner préféré : œufs tournés bien assaisonnés de sel et basilic, toasts avec beurre et marmelade d’orange, café de altura.




Et je ne suis pas seul. Pendant mon repas sur le patio, des oiseaux viennent à leur bain, que j’entretiens soigneusement, assidûment. Ils viennent tout près. Si je ne les regarde pas en face, ils osent boire, ou même se baigner. Pudeur et frayeur seraient les sœurs de la prudence ?

Tout est plus calme ce matin. Sauf la mer qui est plus agitée, et son chant, plus soutenu. Amusant de voir tout en bas sur la plage quelques baigneurs et baigneuses à cette heure matinale le jour de Noël. Ils jouent dans les vagues. Ils se font un joyeux Noël.

Un peu plus tard, je suis en train de me raser quand un tourbillon d’oiseaux d’espèces variées s’engage dans une compétition étourdissante pour cette ressource si précieuse : l’eau. Charco. Une petite flaque d’eau, là, sur cette colline aréique, qui s’évapore à vue d’œil dans la brise chaude et sous l’ardeur du soleil, au creux d’un comal de barro (réchaud à tortillas en terre cuite). Mon bain d’oiseaux. Leur bain, leur abreuvoir, su charco. J’interromps ma toilette, et le temps est suspendu.



Ça se passe à peu près comme suit. Deux colombes inca se posent près du bain. Elles marchent un peu, hésitantes, puis l’une d’elle monte sur le bord d’argile rouge. Elle aspire un peu d’eau à la manière de sa famille, qui ne lève pas le bec à chaque gorgée. Mais elle s’enfuit quand arrivent deux passerins arc-en-ciel, petit joyaux qui paraissent inoffensifs. Ils ont priorité, semble-t-il.





Mais pas pour longtemps : à leur tour, ils s’enfuient à l’arrivée brusque et autoritaire d’un évêque paré mâle, le premier que je vois en cette saison. Sa livrée bleu sombre en impose. Il se comporte en puissant malgré sa petite taille. Il boit, mais encore mieux : bien chez lui, il prend son bain, éclaboussant les autres qui cherchent à s’approcher.



Mais voici d’un troglodyte à nuque rousse se pose inopinément sur le bord du bain. Son long bec effilé et courbé en impose à son tour à l’évêque au bec noir et conique. Ce dernier cède la place, mais il reviendra jusqu’à ce qu’il ait complété sa toilette. Car le troglodyte semble ici plus inquisiteur que consommateur. Il va et vient autour du bain, la queue retroussée et l’œil fanfaron. Mais soudain, tout ce menu fretin dégage à toute vitesse. Après un petit “ quac ” avertisseur arrive un quiscale à longue queue.



Le grand quiscale à l’œil doré dans son écrin noir luisant, le bec ouvert et menaçant, tel un matador dans la place. Sa taille à elle seule est imposante, c’est un géant parmi les autres. De plus, dans sa robe toute noire aux reflets bleutés, prolongée par une longue queue en forme de quille qui lui sert de traîne royale, il affiche une prestance inégalée dans le monde des passereaux. Même les geais à face blanche, qui viendront dans quelques minutes, et qui le dépassent par la taille du corps et la longueur de la queue, même eux en petit groupe délinquant ne feront pas bouger le grand quiscale. Il est maître. Et maître chanteur. Respecté par tous. Il prit donc tout son temps pour se remplir le bec une dizaine de fois, la tête légèrement penchée, la mandibule à peine sous la surface de l’eau, pour à chaque fois la lever bien haut et faire descendre la gorgée dans son labyrinthe viscéral.

Normalement, il ne ferait pas cela si près de moi. Mais pour me raser, fonction interrompue pour mieux observer le manège, je suis à genou face à mon miroir collé à la paroi du frigo. Entre le bain et moi, se trouve (par hasard) une chaise, comme un écran troué qui me laisse très bien voir les oiseaux, mais qui leur donne, semble-t-il, une impression de sécurité, comme s’ils étaient cachés derrière des branches protectrices. Voilà qui me donne à mon tour une idée de camouflage simple pour photographier cette petite faune à l’avenir. En cet instant, je ne puis que contempler la scène. Déjà beaucoup !



C’est cette stratégie aussi efficace qu’imprévue qui a permis, sans doute, qu’un tyran quiquivi vienne se poser sur le bain, si près de moi. Ce chasseur d’insectes en plein vol, de bonne taille, au ventre jaune brillant, la tête noire bandée de blanc surmontée d’une petite crête dorée, criait depuis un bon moment dans les cimes tout près. Quiquivi !! Quiquivi !! Puissant, nasillard, variant de la plainte à la supplication et au cri de victoire, son chant caractéristique remplissait l’air tandis que j’observais la chorégraphie au bain public.

Ce tyran – porte-il vraiment son nom ? – est plutôt farouche et ne se laisse pas approcher des observateurs. Pour la première fois en trois saisons, je l’ai vu se poser à quelques mètres, sur le bord même du bain. Mais il n’a pas osé boire. Il est reparti après quelques secondes, un moment superbe, dont j’aurai pu faire une bonne photo, si j’avais eu mon appareil en main. (Dès le lendemain, je réussis plusieurs bonnes photos du tyran et du quiscale en train de boire, utilisant ma nouvelle technique de “ camouflage ”. Noter aussi que certaines photos sont de l'an dernier et ne correspondent pas totalement au texte. )

Et voici le tour des geais à face blanche, avec leur tête drôlement couronnée par une longue houppette double et recourbée. Ils sont aussi très farouches, car ils servent continuel-lement de cible aux lance-pierres des jeunes garçons. Les quatre ou cinq oiseaux venus ce matin reporteront leurs ébats aquatiques à l’après-midi, car je poursuis maintenant mes activités et je leur parais menaçant malgré l’accueil et le respect total que je leur réserve. Ainsi se manifestent les préjugés des oiseaux…

Voilà donc les sept espèces d’oiseaux qui sont venus, non pas me souhaiter la joie de Noël, mais l’apporter en vrai, tel un cadeau tout neuf, impérissable, inestimable.

Vision plutôt profane de la joie de Noël, pensera-t-on ? Si cette fête commémore la venue d’un sauveur, il m’apparaît que sa vie et sa parole, plus que sa mort, peuvent avoir un effet salvateur. Et quoi d’autre que l’amour a-t-il célébré, qui vaille notre entière adhésion ?

L’amour a-t-il des frontières ? Comment justifier son fractionnement en plusieurs catégories de valeurs ? La venue à moi des oiseaux ce matin de Noël est une fête de l’amour. Son pouvoir unificateur et salvateur m’apparaît indissociable de toute Parole. Jusque là s’étend notre regard holistique.

14 heures 25
La brise s’est levée. Tiède, sèche à cette hauteur que n’atteignent pas les embruns salés de la mer.

En cet après-midi de Noël tropical, il se met à neiger. Il neige des feuilles. Une giboulée de petits flocons bruns et dorés qui revivent l’instant de traverser l’espace lumineux jusqu’au sol. Tout se déshydrate en ce début d’hiver. Il neige des feuilles d’acacia et d’autres légumineuses arborescentes qui m’ont donné tant d’ombre fraîche depuis mon arrivée.

Bientôt, le bosquet sera ténu, transparent, dormant. Mais de grandes fleurs jaune brillant jailliront, précoces, dans les cimes des figuiers, défiant la sécheresse de la saison. Déjà certains arbres en sont parés. Déjà l’horizon du Pacifique s’est étendu largement sous nos yeux derrière l’écran de plus en plus diaphane de notre modeste forêt collinaire.

1 commentaire:

porte-folio a dit…

Quel beau Noël finalement. Et surtout quelle agréable compagnie, de quoi rendre un peintre jaloux ou jalouse......

bonne année 2008, puissent la mer et le soleil te fournir des réserves de chaleur pour toute l,année, Théo.