jeudi 3 juin 2010

Printemps de la révolution


Rappel: les images s'agrandissent en cliquant dessus. Retour à la page par la flèche en haut à gauche.

J'aurais pu intituler ces lignes Printemps 2010 ou encore Explosion de fleurs… ou de cent autres façons. Mais l'année 2010 étant le centenaire de la révolution mexicaine, et n'ayant pas vu autres manifestations que cette explosion de fleurs dans les arbres, il m'a plu de donner à Dame Nature le rôle principal dans la fête. Une fête des arbres, de la fécondité des arbres. La fête d'une révolution annuelle qui, plus encore que les autres révolutions, conserve jalousement les manières ancestrales de vivre, lutter, aimer, partager, exulter et mourir.

Figure 1. La fleur du flamboyant brûlant de tout son coeur
© Paul Germain 2010

Printemps de la révolution. Cela sonne comme le début d'un grand œuvre. Chaque fleur qui offre ses organes aux vents et aux pollinisateurs est à l'origine d'un grand œuvre. Chaque chenille qui s'endort en sa pupe…


Cela est vrai sous toutes les latitudes. Mais le nordique ne cesse de glousser d'étonnement et d'admiration devant l'extravagante générosité de la nature tropicale, quand elle étale ses couleurs aux moments des floraisons. Car il y a des floraisons diverses toute l'année, même au cœur de la saison sèche, quand la terre semble aussi aride que le sol lunaire.


Figure 2. Derrière la lagune et la mangrove, les collines couvertes de forêts sèches (Manialtepec)
© Paul Germain 2010


Ici sur la côte pacifique du Oaxaca, le printemps s'installe en saison sèche. Il n'a pas plu depuis des mois. À la mi-mai, la plupart des arbres forestiers sont nus. Quelques espèces toujours vertes et le fameux géant guanacaste (parota, ou oreille de singe) qui reverdit en mars font ici et là des taches verdoyantes et rafraîchissantes. Il s'agit de la forêt sèche ou caducifoliée, et de ses environs habités. Car il est aussi une forêt d'un vert profond toute l'année et qui s'étend dans les marécages du littoral: c'est la mangrove, ce sont les palétuviers et les espèces associées. Là, l'eau abonde avec toutes ses bêtes d'eau.

Mais le paysage habité et celui des collines capricieuses qui fournissent aux hommes leurs bois et leurs écorces, celui-là a encore son allure de filigrane aux couleurs terreuses.

Figure 3. Filigrane aux couleurs terreuses de la forêt sèche, 1 juin 2010, Ventanilla
© Paul Germain 2010


Figure 4. Là où j'habite, les feuilles tardent à s'épanouir. 1 juin 2010
© Paul Germain 2010

Et soudain, sans demander au ciel de quoi se désaltérer un peu, voici que nombre d'entre ces arbres dépouillés se couvrent d'une chape de fleurs aux couleurs "chacune selon son espèce", ou même multicolores. Si le miracle existe, en voilà une manifestation.

Figure 5. Rameaux de flamboyant ayant prit le feu printanier
© Paul Germain 2010

Beaucoup voient cela comme normal. Ils ont vu cela dès leur tendre jeunesse. Souvent ils n'imaginent pas les paysages moins fleuris du reste du monde. Mais quand le canadien voit cela, il ne cesse de s'étonner et d'admirer – à moins d'être totalement blasé.

Les images qui illustrent ce texte essaient d'exprimer cet étonnement et cette admiration, avec l'espoir qu'ils seront contagieux.

Figure 6. Et voici un jeune flamboyant qui ne compte pas ses feux
© Paul Germain 2010


Figure 7. On l'appelle ici lluvia de oro: pluie d'or
© Paul Germain 2010


Figure 8. Le frangipanier pousse aussi en forêt; le parfum de sa fleur rivalise avec sa beauté
© Paul Germain 2010

Et puis… il y a tout près de ma cabaña un petit arbre qui fleurit fin mai de toutes ses petites fleurs blanches, lesquelles disparaissent en quelques jours. Au moment de l'épanouissement total, j'ai assisté au carnaval des papillons et autres pollinisateurs. En moins d'une heure, j'ai pu faire une récolte d'images d'une variété étonnante d'espèces. On en trouvera ici quelques-unes.

Comme quoi les insectes aussi sont révolutionnaires.



Figure 9. Papillon "chouette" : qui osera l'attaquer?
© Paul Germain, 2010


Figure 10. Papillon "feuille": mimétisme végétarien
© Paul Germain, 2010



Figure 11. Papillon "tigre": mimétisme carnivore?
© Paul Germain, 2010



Figure 12. Papillon noir bordé d'or: somptueuse sobriété
© Paul Germain, 2010



Figure 13. Papillon "queue d'hirondelle" ocre
© Paul Germain, 2010



Figure 14. Papillon à plumes (dans la foulée...)
© Paul Germain, 2010

Pouvais-je ne pas montrer l'oiseau? Carnaval des papillons, des fleurs et des colibris !

Mardi, 1er juin 2010

dimanche 28 mars 2010


Oiseaux noirs, oiseaux blancs

La « faute » n’est pas dans l’acte posé :
elle est dans l’œil de celui qui juge




Suggestion au lecteur: parcourir d'abord les 9 photos, puis lire le texte sans interruption. La plupart des photos s'agrandissent par un clic dessus.

Sur le Pacifique, au large des côtes du Oaxaca, Mexique.

À tout moment, le vent rabat sur nous et sur nos jumelles les éclaboussures salines. Les appareils photo ont été mis à l’abri. La vague est forte, et notre chaloupe s’écrase parfois de 3 mètres d’une crête au creux suivant. Ici, ce n’est pas le confort et la sécurité de la lagune.



Figure 1. Nous irons au large, même si la vague est forte :
de quelle augure, ces oiseaux noirs?
© Paul Germain, 2010

Le tangage rend difficiles le repérage et l’identification des oiseaux, malgré la superbe lumière que le soleil répand devant nous. Nous sommes aux aguets, mais la patience de certains s’use dans ce désert marin. En apparence, les courants et le vent des dernières heures ont chassé presque toute vie à la surface de l’eau. Depuis que nous avons laissé la côte, à peine ai-je aperçu un poisson volant, et quelques tortues indolentes.


Je guide un petit groupe de quatre observateurs d’oiseaux venus des États-unis et d’Allemagne. Ils aimeraient bien profiter de cet exotisme pour découvrir de « nouvelles » espèces. Ils ont bien eu la chance, il y a une demie heure à la Roca Blanca non loin de la côte, de partager ma plus belle observation des phaétons à bec rouge. Les fous bruns et les frégates étaient nombreux là-bas, et le balbuzard a fait une belle apparition. Mais comment satisfaire l’avidité des passionnés d’oiseaux?



Figure 2. Puffin à pieds roses, oiseaux pélagique du Pacifique
© Paul Germain, 2010

Et comment agir quand la panique et la colère remplacent l’avidité?
Le bruit du moteur et du vent et le tapage de l’eau sur l’embarcation sont soudainement couverts par les cris d’une passagère. Depuis mon poste à l’avant, où je me tiens debout bien accroché à la structure mais en équilibre instable, je me retourne et j’aperçois un visage crispé d’où sort un discours incompréhensible. Je m’approche pour l’écouter. « I want to go back, I want to go back! » Elle semble plus furieuse qu’apeurée, et dans son anglais germanique le plus violent possible, elle me reproche de l’avoir amenée à son insu dans cet « enfer » qui est en même temps un désert d’oiseaux. Le tout assaisonné d’insultes et de la promesse de ne pas payer son billet. Inutile de tenter une mise au point : elle m’interdit de lui parler.




Figure 3. La haute mer peut être un désert d'oiseaux, ou tout le contraire
© Paul Germain, 2010

Je demande à chacun des trois autres participants comment ils se sentent et ce qu’ils souhaitent. Ils désirent poursuivre l’exploration, malgré la situation un peu difficile. Et puis des oiseaux commencent à apparaître ici et là, au vol ou posés sur la mer. Quelques puffins à pattes roses exécutent de belles arabesques entre le vent et les vagues. Nous approchons à quelques mètres de petits phalaropes qui mènent en hiver une vie entièrement pélagique. Les tortues aussi ont l’air de vouloir apaiser la bonne dame, se laissant approcher, sortant la tête hors de l’eau pour montrer leur éternel sourire.





Figure 4. Phalaropes en haute mer
© Paul Germain, 2010


Mais les dauphins, plus intelligents, sont restés cachés. Ou tout simplement, avaient-ils déserté?


Le vent et les vagues augmentant, nous rentrons non sans avoir négocié notre approche et notre atterrissage sur la plage de San Agustinillo.


Par deux fois, je m’étais approché de l’allemande pour lui exprimer mes regrets pour son malaise et sa déception. Refus que je lui parle de quoi que ce soit. Mais la voici sur la plage qui vient à moi d’un pas décidé, et avant même que nos regards se rejoignent, elle me lance : « I have paid for the boat, but not for you! » Puis elle rejoint son mari pour rentrer à leur hôtel.

Voilà pour les oiseaux noirs. J’ai reçu d’Inga une volée d’oiseaux noirs. Bien reçus.




Figure 5. Symboliques oiseaux noirs...
© Paul Germain, 2010

Et notre mousse Antonio a reçu du couple (à la retraite) 200 pesos sur les 500 qu’ils auraient dû payer. Juste économie…

Me dis-je, pensif : Hans et Inga, connaîtrez-vous un jour autre chose que cet enfer?




Figure 6. Mer houleuse, oiseau noir
© Paul Germain, 2010


* * *


Tout cela semble bien ordinaire. Mais pour l’apprécier vraiment, il n’est rien comme de recevoir par la même occasion une volée d’oiseaux blancs.



Figure 7. Une volée d'oiseaux blancs...
© Paul Germain, 2010



Dans les jours précédant la sortie en mer, j’avais travaillé fort pour rassembler quatre participants intéressés aux oiseaux et prêts à payer 250 pesos chacun. Car ces sorties de reconnaissance et d’inventaire des oiseaux océaniques coûtent trop cher pour que nous, Mateo et moi, puissions les faire régulièrement sans la participation d’autres mordus.


S’étaient alors engagés à participer un couple d’américains, John et Joan, fort sympathiques; et puis Marie (ou sa mère) et David, un protégé de Marie qui ne jouit que d’une autonomie réduite. La participation de Marie était conditionnelle à ce que sa mère puisse garder son bébé, et celle de David à ce qu’il soit accompagné par l’une ou l’autre. Secrètement, je souhaitais la présence de Marie à cause de sa féminité et de son charisme engageants.



Au rendez-vous du matin du 20 mars 2010, je trouvai sur la plage John et Joan, tout prêts pour l’aventure, malgré le fort vent et le déferlement des vagues, parfois menaçant. Nous étions déjà ravis de nous retrouver.



Puis vinrent Marie et David. Nous formions déjà le petit groupe souhaité, et nous fîmes les présentations sur la plage. Mais rapidement, Marie annonça qu’elle devait annuler sa participation et celle de David, car sa mère était trop malade pour assurer la garde du bébé. Déception pour tous… d’autant que c’était leur dernière chance, leur départ du pays étant prévue pour le surlendemain.



Cependant, Marie s’empressa de m’offrir dans sa main déjà tendue une compensation en argent pour leur défection. Touché par la bonté sincère avec laquelle Marie se désistait, je l’acceptai de bon coeur, rappelant au petit groupe que ces excursions n’avaient rien de commercial, et que tout appui pour continuer notre travail d’ornithologues était fort bienvenu.




Figure 8. La beauté et la grâce du geste...
© Paul Germain, 2010


Bien au-delà de l’argent reçu, c’est la beauté et la grâce du geste, la manière spontanée et généreuse avec laquelle Marie a agi avec moi qui constitue la volée d’oiseaux blancs. Des oiseaux qui témoignent d’une conscience éprise de justice et de solidarité, des oiseaux qui disent : Voilà, Marie ne peut pas participer physiquement et partager votre plaisir, mais elle demeure avec vous par amour de la nature et de votre humanité commune.




Marie sème la joie. Elle cultive le paradis.




Figure 9. Phalarope à bec large en haute mer
© Paul Germain, 2010


* * *


Mais alors, comment, dans les minutes qui suivirent, Marie et sa lumière fut-elle remplacée par Inga et son ombre ? Et David, le dépendant, par Hans, le soumis?



En attendant la mise à l’eau de la chaloupe, John et Joan rencontrèrent sur la plage Hans et Inga qu’ils avaient connus récemment comme visiteurs épris de l’observation des oiseaux. Ils leur proposèrent de se joindre à nous, vu la place laissée par Marie et David. Ils leur expliquèrent que nous allions en haute mer pour les oiseaux océaniques. Ce que je précisai également avant le départ. Nous les attendîmes, le temps qu’ils se préparent à l’aventure.



… En mer, les choses se passèrent telles que déjà racontées.



Hans était demeuré calme et discret pendant toute l’excursion. Bien qu’il ne fît aucune objection aux manifestations de sa femme, quand je lui avais demandé son avis personnel, il s’était empressé de répondre que tout allait bien, et qu’il avait connu des mers plus inhospitalières dans le nord… Il a semblé à la fois imperturbable et content de son excursion.



Mais à la fin, il n’eût pas le loisir de me saluer, occupé qu’il était à transmettre les 200 pesos au jeune mousse, selon les instructions d’Inga. Et c’eût été difficile pour lui d’exprimer sa dissidence… Je l’ai approuvé en mon for intérieur, car pourquoi ajouterait-il à sa souffrance ?



Quant à la colère d’Inga, bien que j’aie eu conscience d’avoir agit professionnellement avant, pendant et après l’excursion, je senti le besoin de demander à John et Joan s’ils avaient remarqué quelque erreur de ma part qui aurait pu provoquer Inga. Dans l’affirmative, mon souci était de ne pas répéter cette erreur.



Ils m’assurèrent que tout provenait de la panique qui s’empara d’Inga à cause des mouvements de la chaloupe, et que l’ensemble de sa verbalisation exprimait le refus d’assumer elle-même sa peur et sa déception. Il fallait accuser quelqu’un, il fallait que les oiseaux noirs aient une cible…



C’est ainsi que s’est joué le jeu des complémentarités et des karmas. Faisant les comptes, je remarquai que le don de Marie correspondait exactement aux 300 pesos non payés par Inga. Que sur le plan des émotions, ses oiseaux blancs m’apportaient la joie oblitérant la peine causée par les oiseaux noirs. Que l’ensemble de toute cette aventure naturelle et humaine m’apportait une connaissance plus profonde de notre réalité autant que nos illusions. D’où mes sentiments de bonheur et de sérénité.



Plus qu’une anecdote, j’offre ce témoignage : s’il peut contribuer à ce que quelqu’un trouve son chemin vers le bonheur, cela vaudra le risque d'une lecture plus critique...



Paul Germain
Équinoxe du printemps 2010
À Ventanilla Tonameca, Mexique

© Paul Germain, 2010

vendredi 5 février 2010

CRÉATIONS D’ENFANTS

La création est éternelle. Je parle de l’acte de créer.

Les enfants montrent vite le désir de créer et développent rapidement des capacités dans le sens de leurs goûts et de leur sensibilité. Très souvent, ils s’appuient sur des modèles qu’ils trouvent ou qui leur sont proposés. Parfois, ils font d’après nature.

L’initiative d’une enfant de faire un dessin pour un être cher est en soi touchante, quelque soit la qualité de l’image. Mais quand l’image est particulièrement réussie, alors la joie est pour tous ceux qui ont la chance de la contempler.

Je vous en propose deux, dans les contextes suivants.

* * *


J’ai téléphoné à ma petite-fille Raphaëlle le soir du 24 décembre, pour Noël évidemment. (Elle vient d’atteindre ses 7 ans, le trois février.)
Nous avons bavardé des choses ordinaires. J’ai aussi causé avec son petit frère Frédérick, très bavard celui-là. Manière pour moi de leur dire que je les aime et que je ne les oublie pas malgré la distance, et pour eux, malgré l’énormité du temps qui nous sépare.


Figure 1. Raphaëlle en juillet 2007

Après les souhaits et les adieux, Raphaëlle sortit ses feutres et se mit spontanément à l’ouvrage. J’ai reçu son dessin par Internet. Il me dit : « Gran-papa Pole, nous aimons tous les deux la forêt avec ses arbres et ses oiseaux, la terre obscure et les rivières bleues avec les poissons diaphanes. Je t'aime. »



Figure 2. Dessin de Raphaëlle Charbonneau, 2009


Un poème tout simple sur la vie et l’amour a jailli du bout des doigts de cette enfant de mon enfant.

Car voici un lien qui a remué quelque chose en moi.
* * *

En 1982 au Sénégal, la maman Violaine était encore une bien jeune enfant quand elle découvrit le fleuve Soungrougrou, au cours d’une excursion familiale en pirogue. Plus près de la nature que cela, c’est quasi impensable pour une fille de 8 ans. Nous avions été impressionnés par les voiliers de pélicans qui tournoyaient au-dessus des grands baobabs, apeurés par notre passage pourtant silencieux et discret.




Figure 3. Dessin de Violaine Germain, 1982

C’est cette image que Violaine a gravée sur le papier à l’aide de ses crayons de couleur. Image qu’elle a quelque peu enjolivée par un parterre de fleurs sagement disposées… Manière d’apprivoiser cette brousse parfois inquiétante. Mais le voilier de pélicans montre un mouvement remarquablement réussi et … perpétuel.

Ce dessin, elle l’a fait pour un petit livre que nous avions alors écrit et illustré, mais qui n’a jamais été publié. Je publie ici la pièce maitresse du livre inédit. Presque 30 ans plus tard…

Merci encore Violaine, merci Raphaëlle, pour vos beaux cadeaux, vos belles créations qui, pour moi, sont éternelles…




Figure 4. Raphaëlle, Frédérick et Violaine, juillet 2007

Autre perspective...

La création d’enfants, c’est aussi l’habileté miraculeuse à faire des enfants et à les accompagner avec amour et responsabilité tout au long de leur croissance. Ce que je n’ai pas pu faire totalement. Qu’il en soit autrement pour cette petite famille! Bonne chance et merci à Violaine et à son compagnon Patrick.

mercredi 13 janvier 2010

Réjouissances à Puerto

Escondido (2)

(Épisode deux de deux)

En guise de rappel, voici quelques lignes extraites de l’article un.

Tout semble au Mexique prétexte à réjouissance : on boit, on mange, on rit, on danse, on fait de la musique et du bruit, et on chante fort et parfois faux en toutes occasions. Y compris la naissance et la mort, celles des autres bien entendu. […]

Ainsi ai-je eu l’occasion de fêter avec mes amis de Puerto Escondido le Jour des Morts, et la naissance de Jésus …

La Navidad
Dans ce deuxième épisode, nous revoyons Martha et Genaro, avec leurs amis, au cours d’une fête un peu plus éclatée : Noël, ou la naissance d’un illuminé nommé Jésus.



Figure 0. La force des choses: enfant de Mazunte religieusement
(et délicieusement) occupée à allumer un lampion


Rappel: pour agrandir les photos, cliquer dessus une fois; pour revenir à la page, cliquer sur la flèche retour en haut à gauche de votre écran; toutes les photos sont de l'auteur et protégées par copyright.

 
Que ce soit bien, mal ou indifférent, c’est ici la seule mention faite de cet enfant charismatique. Apparemment, nous l’avions tous oublié ce soir là. Il y avait bien dans un coin une petite crèche avec les personnages habituels… gardiens de la bonne conscience. Le fait est à noter : malgré l’omniprésence au pays du mezcal de la Virgen de Guadalupe, Madre de Dios, Noël est une fête civile pour un certain nombre de mexicains. Pour ma part, c’est sans regret. On peut aussi rappeler que, au début du 19e siècle, la première constitution mexicaine était vigoureusement anticléricale. Elle fut adoucie, vu la force des choses… (figure 0.)

S’il y a fête, je préfère que ce soit l’occasion de fêter l’amour et l’amitié dans un généreux partage, et que cela nous remplisse d’une joie sereine ou exubérante selon chacun.

Ainsi fut la soirée du 24 décembre 2009 dans la maison de Martha et Genaro.

Contrairement à la manifestation de El Día de los Muertos, cette fois, aucun cérémonial, aucun mythe, aucun symbole vraiment n’ont pris la vedette. Rien à décrire qui soit singulier sur le plan culturel, ou teinté d’un mystère naturel ou surnaturel. En somme, à moins de la vivre pleinement du dedans, une fête assez banale.

C’est ici mon défi : comment narrer cette fête sans panache et réussir à partager la grande joie qui fut la mienne à cette occasion ?!

Je sens que c’est risqué, et je compte sur votre humour pour conserver votre sympathie en cas d’échec.

Au menu : deux dindes
J’ai parlé de générosité : ils attendaient une douzaine de convives, et ils ont préparé deux dindes, deux grosses dindes farcies !

Et de quelle manière? Il n’y a pas de four dans la maison. Alors Genaro met en œuvre une technique aussi ancienne que primitive, comme il adore les emprunter des traditions indiennes du pays. (Il a une formation d’historien, et un goût prononcé pour les modes de vie précolombiens – d’avant la conquête.)


Figure 1. Le four souterrain

 Avec un ami, il a creusé un large trou dans le sol de la cour-jardin, enduit les parois de chaux, et lissé l’ouverture en saillie qui devra être fermée par un grand comal en terre cuite (utilisé encore souvent pour cuire les tortillas, les oeufs, etc.). Au fond du trou, il allumera un bon feu de bois qui donnera des braises pendant des heures et des heures. Sur ces braises et dans l’enceinte fermée du four souterrain, cuiront l’une après l’autre les dindes de Noël.

La coopération va bon train. Pendant que Genaro et Wesley aménagent le four souterrain, un ami, Carlos, et la abuela (maman de Martha) assaisonnent la première dinde.

L’oiseau (mmm… il y a des oiseaux partout!) sera enfermé dans une cuvette métallique que l’on descendra sous terre à la manière d’un cercueil! Mais avant, un feu ardent fournira les braises nécessaires.

Enfin, après quelques heures, la dinde est cuite et juteuse, et ce n’est pas la profaner que de l’exhumer à l’intention des bonnes fourchettes!


Figure 2. Pendant que les uns aménagent le four,
d'autres assaisonnent une dinde


Figure 3. C'est au fond de ce petit volcan
que cuiront les dindes et les patates



Figure 4. Genaro et Agustín inhume une dinde


Figure 5. Bien fermé par un comal d'argile,
le four est constant et économe.


Figure 6. Une dinde bien cuite n'est pas toujours reconnaissable...

Au menu : de la musique et des chansons
Pendant que le repas cuit sous terre, on boit, on joue de la guitare, de la flûte douce, une paire de petits tambours (dont j’ai oublié le nom exact) et on chante à pleine voix des chansons traditionnelles ou populaires du Mexique. Je dis « on » : ce sont ceux qui en ont le talent et l’habitude, ceux que cela ne gêne pas d’être en vedette. En général, ici, des hommes. Mais à moi, il manque le talent!


Figure 7. Wesley à la guitare et Felipe au chant

Genaro est un véritable artiste et boute-en-train. Il joue surtout de la flute douce et de la guitare (il possède plusieurs flutes et change souvent de registre), et il chante avec une énergie communicative. Wesley joue de tous les instruments et chante aussi, c’est un petit doué. L’ex-policier à la retraite, Felipe, est un homme de cœur qui chante avec un enthousiasme débordant : difficile de l’imaginer dans son ancien poste!



Figure 8. Wesley aux tambours et Genaro à la guitare

Ces trois hommes étaient le moteur de la soirée, en quelque sorte. À eux se joignaient, de temps à autre, selon les chansons et les rythmes, d’autres companieros ou companieras. Ce qui m’enchantait le plus, c’était de voir comment des citadins instruits (pas des villageois plus ou moins démunis et traditionnels) réunis « en famille » un soir de Noël, pouvaient ainsi pendant des heures s’amuser et rire (et boire un petit coup, bien sûr) tout en jouant de la musique et en répétant avec une folle énergie les refrains de toujours.


Figure 9. Felipe et Genaro chantent de bon coeur

Je n’ai pas connu cela dans ma jeunesse, dans mon pays. Simple malchance? Cela se pratique-t-il plus souvent au Mexique? Je ne sais pas. Mais ce qui m’arrive maintenant est tout un cadeau en soi. De fait, je n’ai pas attendu (ni reçu) un autre cadeau de Noël…

Au menu : la margarita
Quand elle est bien faite (ce qui n’est pas fréquent), j’adore la margarita. J’ai vraiment découvert ce coquetel typiquement mexicain dans un très bon restaurant de la banlieue de Puerto Escondido, la Guadua. Là seulement j’en boirais à l’excès.

J’ai souhaité partager cette passion nouvelle avec les convives de la Buena Noche, la nuit de Noël. J’étais content d’avoir trouvé une manière personnelle de contribuer matériellement à la fête organisée par mes amis.

J’achetai alors un litre de téquila (eau-de-vie d’agave) et un litre de Controy (liqueur d’orange mexicaine rappelant le cointreau). Je me procurai six verres à coquetel, pour éviter de servir dans les verres de la maison, épais et trop profonds. Je pensais, avec raison, que la margarita n’était pas une habitude dans ce genre de soirée. J’imaginais alors qu’il me faudrait bien manœuvrer pour en faire profiter au moins six personnes (dont moi-même).


Figure 10. Pour la margarita: on commence par la collerette de sel, puis les glaçons auxquels on ajoute le Controy, la téquila et le jus de lime.

Peu après l’arrivée des premiers invités, je proposai de remplacer le premier verre de bière par un verre de margarita. L’idée fut bien reçue, et j’eus rapidement 4 commandes malgré le risque annoncé : je n’avais jamais préparé de margarita, et je suis peu familier avec les coquetels en général.
Les deux ou trois premiers verres ont eu l’air de plaire, car les compliments étaient appuyés par des regards complices.

Et puis ce fut la ruée de presque tous : je n’avais cesse de préparer des margaritas, au point que je devais déclarer la grève pour avoir la chance de m’en préparer un moi-même. Encore qu’il était souvent redirigé vers un convive assoiffé.


Figure 11. Pour certains, la margarita, pour d'autres, le vin ou le Coca-Cola
 
Et l’engouement général s’est poursuivi pendant toute la fête. Felipe, qui se dit un peu macho, n’avait jamais bu de margarita, car dans son milieu, c’est une boisson pour dames… Il a osé un verre, puis un autre et un autre…


Ce n’est donc pas six margaritas que j’ai dû préparer, mais près de cinquante! J’en éprouvai une grande joie, d’autant qu’à la longue, je finis par en ingurgiter quelques verres, constatant moi-même le grand art que j’avais développé spontanément.

On m’a proposé d’ouvrir un bar à margarita afin de gagner ma vie… ¡A ver!

Il y aurait eu de jolies photos à faire autour des margaritas… j’étais trop occupé et trop gai pour appliquer mon autre art à cette fin. Je n’ai que de piètres images pour illustrer mon propos, mais cela me paraît mieux que rien.


Figure 12. Agustín dévore un coquetel de fruits
après un bon nombre d'autres coquetels...

 C’est ainsi que la fête s’est passée, en tout cas selon mon regard et ma sensibilité. Trois points forts comme trois plats de résistance au menu de la fête. Le tout dans une ambiance des plus chaleureuses, où rien, pas même l’alcool, ne vînt troubler l’harmonie du groupe.


J’ai pensé à mes amis du Canada, entre autres, et c’est ainsi que je viens de répondre à leur question : Et toi, comment as-tu passé la fête de Noël?