mercredi 30 décembre 2009

Réjouissances à

Puerto Escondido

(Article un de deux)

Tout semble au Mexique prétexte à réjouissance : on boit, on mange, on rit, on danse, on fait de la musique et du bruit, et on chante fort et parfois faux en toutes occasions. Y compris la naissance et la mort, celles des autres bien entendu.


Entre ces deux moments cruciaux, on imagine facilement le spectre des événements célébrés publiquement : baptêmes, premières communions, anniversaires dont particulièrement celui des 15 ans des jeunes filles (venez voir notre fille : bonne à marier!), mariages, mais aussi les changements de saisons, toutes les fêtes chrétiennes de la Virgen, Madre de Dios, etc., etc.

En général, je me tiens à quelque distance de ces réjouissances, car l’excès de bruit et la nourriture grossière qui est servie dans ces occasions me répugnent. Le bruit est assuré par des lancements en série de fusées explosives et par un équipement audio puissant et poussé à fond par le fournisseur engagé à cette fin. La nourriture mexicaine est en général excellente, parfois raffinée, mais la qualité de ce qu’on prépare en immenses chaudrées carnées et huileuses pour une centaine de personnes ou plus laisse souvent à désirer (selon mes quelques expériences).

Heureusement, il en va autrement pour les fêtes plus intimes réservées à la famille et aux amis proches.

* * *



Figure 1. Fleurs à vendre au bord de la route, San Antonio Tonameca, Oaxaca
Foto: Paul Germain, copyright © 2009

Sise sur un promontoire au bord du Pacifique dans l’état d’Oaxaca, Puerto Escondido est une ville moyenne (40,000 h.), à une heure de voiture à l’ouest de Ventanilla Tonameca, mon lieu de résidence.

C’est là que je vais parfois travailler les textes espagnols de mon guide d’oiseaux avec de merveilleux collaborateurs, devenus de véritables amis. C’est alors dans leur maison que j’habite pour quelques jours. Je me permets de dire, avec leur assentiment, que je fais partie de la famille. J’y suis toujours bienvenu, accueilli chaleureusement, et invité aux événements familiaux.

Ainsi ai-je eu l’occasion de fêter avec eux Le Jour des Morts, et la naissance de Jésus (ainsi dit pour souligner les extrêmes).

El Día de los Muertos
C’est la fin d’octobre, et vous roulez dans une campagne verte émaillée de champs paille ou dorés, parfois oranges. Ce sont les basses terres qui s’étendent entre l’océan Pacifique et les contreforts de la Sierra Madre del Sur, haute chaîne de montagnes qui sépare la côte de la capitale, Oaxaca.




Figure 2. Petit champs de fleurs le 30 octobre 2009
Foto: Paul Germain, copyright © 2009
Rappel: les photos peuvent être agrandies en cliquant une fois dessus.

Les pluies sont terminées, ou presque, et la terre est encore humide et productive. Elle sent bon. Partout des fleurs sauvages continuent à croître et à s’épanouir, de même que les cultures de maïs et de courges, les plantations de bananes et de papayes. Les peuplements encore verts d’ocotillos (arbres prisés pour la construction) qui couvrent les collines toutes proches se sont parés de milliards de petites fleurs blanches qui sèchent et brunissent en quelques jours, formant une mosaïque de teintes chatoyantes comme dans une symphonie printanière.



Figure 3. Colline peuplée d'ocotillos en fleurs; 30 octobre 2009
Foto: Paul Germain, copyright © 2009

Pourtant c’est l’automne. Et vos yeux sont parfois captivés par une large vague orange qui semble onduler là, dans le champ au bord de la route qui défile sous vos roues. C’est intensément orange, et dense comme une mer. Une petite mer de moins d’un hectare. En y regardant bien, vous apercevez un ou deux hommes avec leurs machettes, presque noyés dans cette mer de fleurs orange. Ici ou là, une ou deux rangées de fleurs cramoisies. Et vous voyez que la vague déferle parfois. Et tombent les tiges sur le sol profond.

C’est que le Jour des Morts (el Día de los Muertes) approche. Demain déjà les gens s’arrêteront pour acheter de grands bouquets de fleurs orange avec lesquelles ils décoreront l’autel érigé à domicile pour leurs morts. Un autel à la fois grandiose et simple : une arche faite avec une feuille de cocotier fendue en deux, une table, pleins de choses usuelles offertes aux morts qui reviendront dans la famille pendant deux ou trois jours afin de faire le plein. Le plein de quoi? Oh! Ce doit être surtout affectif et spirituel, car les fruits, les pains et galettes, les plats cuisinés, les verres de jus, d’eau, de bière et le café, et même le mezcal et les cigarettes posés là sur la table à leur intention… Rien de tout cela ne bougera jusqu’à ce que les maîtres de maison redistribuent les victuailles aux vivants. Et cela se pratique depuis des siècles, depuis avant la conquête, et avec les mêmes fleurs (selon la description publiée par Bernardino de Sahagun au XVIe siècle).



Figure 4. Fleurs à couper, le 30 octobre 2009
Foto: Paul Germain, copyright © 2009

* * *


J’arrivai chez mes amis de Puerto Escondido le matin du 31 octobre 2009 pour une réunion de travail.

Martha et Genaro ne sont pas des villageois crédules, mais un couple d’universitaires au jugement critique, et bien informés. Ils ne sont nullement religieux, encore moins superstitieux. Du moins, dans le quotidien habituel. Mais là…!




Figure 5. Peu après mon arrivée    Figure 6. L'autel terminé
Foto: Paul Germain, copyright © 2009


Entrant dans la maison, je trouvai Genaro grimpé sur une table en train de fabriquer l’arche en feuille de cocotier qui allait surmonter l’autel à ses morts. Je m’employai aussitôt à l’aider, pendant que Martha préparait les fleurs orange à piquer dans l’arche. Parfois je prenais du recul pour capter en photos ce spectacle étonnant dans une famille aussi évoluée.




Figure 7. Martha et Genaro décorent l'arche de palme
Foto: Paul Germain, copyright © 2009



Pour la suite des choses, je laisse les photos parler d’elles-mêmes. Tout ce qu’on y voit a été monté ou déposé avec un soin quasi religieux, afin de respecter les besoins des morts, ou à tout le moins, ceux des vivants, programmés à suivre une puissante tradition culturelle. Dans cette tradition, beaucoup d’humour funèbre, on rit de la mort et on la fait rire aussi. C’est en somme une réjouissance, une véritable fête. Des retrouvailles ritualisées avec les chers disparus.




Figure 8. Lupita, fille de Martha et Genaro, prépare un bouquet aux morts





Figure 9. Le chat de la famille suit les choses de près






Figure 10. Le festin des morts se prépare avec soin





Figure 11. Mandarines, tostada de maïs, verre d'eau








Figure 12. Pomme, goyaves, verre de mezcal (alcool d'agave)
Foto: Paul Germain, copyright © 2009





Figure 13. Pains, café, encens et cigarettes, et le mole (sauce épicée)
Foto: Paul Germain, copyright © 2009


Il va sans dire que j’ai également profité des restes, dédaignés par les chers disparus… et par la microfaune bactérienne (ce qui n’était pas toujours le cas).




Figure 14. On se moque de la mort par des calavera,dessins
ou figurines de crânes humoristiques
Foto: Paul Germain, copyright © 2009


Mais ils sont appelés et bienvenus les morts : Entrez! La porte est grande ouverte, et voici de l’encens pour vous attirer chez nous, chez vous!




Figure 15. Bienvenu les morts!
Foto: Paul Germain, copyright © 2009



La Navidad



Dans le deuxième article (bientôt en ligne), nous reverrons Martha et Genaro, avec leurs amis, au cours d’une fête un peu plus éclatée : Noël, ou la naissance d’un illuminé nommé Jésus.

jeudi 19 novembre 2009

Pour une oie sauvage…




Résidant du nord, je naquis.
Migrateur suis devenu après quelques errances sur la planète. Puis…
Résidant du sud.

Révolution.
Le 16 novembre, j'ai complété ma première orbite ininterrompue autour du soleil mexicain.

Dire que je suis enchanté ? Non – séduit.

Depuis des mois, mon cœur a choisi.
La part de moi qui s'apparente à l'homme-lièvre hésitait. L'oiseau migrateur se croyait obligé à sa nature de migrateur.





Mon cerveau a fait le bilan prévisionnel des profits et pertes. Face au tableau, il s'est rallié au cœur. Le lièvre s'est terré. L'oiseau est devenu résidant du sud.

Non, ce n'est pas une allégorie.
En clair, j'ai décidé depuis peu
de vivre en permanence ici, au Mexique…

Ce n'est pas une petite affaire. Mais si! Ça l’est. Tout dépend du point de vue choisi.

Ma santé
Après bientôt deux années vécues ici (en 4 séjours), je vois que le meilleur moyen pour moi de conserver ma bonne santé pour les prochaines années, c'est de vivre ici en permanence.




 Ma vie professionnelle
Oui, tout en étant retraité, je reprends ici une vie professionnelle dans un climat de créativité, liberté, et coopération jamais connu auparavant. Les activités professionnelles suivantes sont engagées ou envisagées: photographie de nature, enregistrement de chants d'oiseaux, écriture et édition d'un guide d'identification des oiseaux, publication d'un CD sur les chants d'oiseaux de la région, collaboration à des projets d'éducation environnementale, gestion et guidage d'excursions pour l'étude des oiseaux océaniques sur le Pacifique.

Ma famille
C'est la principale pierre d'achoppement. Vivre aussi loin de toute ma famille avec peu de moyens et de goût pour les excursions internationales m’a fait hésiter. Non pas que je m'ennuie. Je ne connais pas l'ennui, sous aucune forme, peut-être. Mais j'aime garder un contact vivant avec les miens, un contact qui évolue avec nous-mêmes, ensemble. Avec la distance, le risque de devenir étranger s'accroît. C'est déjà amorcé, et même depuis longtemps, je le vois dans certains cas. Cela fait sans doute partie des deuils que nous imposent nos propres choix (fussent-ils les meilleurs), quand il ne s'agit pas de maladie ou d'accident.





J'ai l'intention de nourrir au mieux mes liens avec toute ma famille, pour autant qu'il y ait réciprocité. Tant soit peu, j'irai au Canada. Et j'accueillerai ici ceux et celles qui aimeront partager avec moi des jours ensoleillés.


Et puis, il y a l'écriture. Plusieurs m'ont démontré que lorsque le désir de communiquer est authentique, on passe aux actes, on s'écrit, on se lit. Et … on s'accorde aussi des vacances, des silences !

Les amis
Je ressens les mêmes choses par rapport à mes amis du Canada et d'ailleurs. Ils sont de ma famille, de ma famille d'esprit, comme on dit.


Mais comment m'attacher, quand d'innombrables événements m'ont éloigné de mes amis toute ma vie. Je ne puis que souhaiter que ces amitiés soient telles que la joie des retrouvailles soit toujours possible et authentique.


Et puis, il y a toujours l'écriture…

La Viréole
Mes compagnes en furent jalouses !
Elles m'en parlaient comme de ma maîtresse. Oui, j'ai aimé la Viréole.


C'est d'ailleurs cet amour de la terre, des arbres, de l'eau et des plantes et des bêtes avec lesquelles je partage ma respiration, c'est cet amour même qui exalte mon bonheur sur la côte du Pacifique tropical.


Dix hectares de forêt nordique. J'ai vécu avec elle, en elle, avec beaucoup de bonheur, et plein de projets et de rêves.





Je conserve la mémoire de sa beauté et de ce bonheur, et je largue les amarres. Adieu les rêves écologiques à saveur d'érable et de bouleau jaune ! Adieu les hêtres et leur folle production de faînes, adieu tous les oiseaux multicolores, crieurs ou chanteurs, familiers ou secrets qui ont peuplé mes jours de solitude. Adieu brumes et bruines de mai à novembre, adieu neiges et glaces de novembre à mai ! Sans regret, je ne suis plus des vôtres.


















 Voilà ! Je m'emporte dans la poésie du moment, alors que je vous proposais un bilan rationnel. Retour au guichet de la banque : la Viréole est à vendre. Vous pouvez passer le mot.


 

Mes pensions

J’ai mis à jour mes informations à ce sujet. Citoyen canadien et québécois vivant à l'étranger, je recevrai mes pensions de base, tout simplement.


La suppression du supplément de revenu garanti du fédéral (environ 5,000 dollars par an) peut correspondre à la différence du coût de la vie (de ma vie) entre ici et là-haut (c’est près du pôle nord, non ?).


Et puis, je me débrouille très bien ici avec très très peu… et des échanges avec les organismes locaux. Frog power!




 Autres revenus

Comment ne pas espérer obtenir quelques ressources de la vente de la Viréole ?


Une partie de cet argent me permettra d'investir ici dans des projets productifs divers: site Internet, vente de photos d'oiseaux à l'international, promotion des tours pour les oiseaux océaniques, achat d'équipement spécialisé, etc.


Depuis à peine quelques jours, j’ai obtenu l'autorisation de travailler au Mexique contre rémunération. Mon statut migratoire officiel est Biologiste et spécialiste de l’environnement à titre indépendant.




Extrait de mon visa mexicain, mis à jour.

Je sais, je ne suis plus très jeune. Mais je connais ici des amis « immigrés », dans la quasi vieillesse, qui se débrouillent bien pour gagner leur vie sans aucune pension pour les supporter.



Et dans dix ans ? Faites-moi rire ! On verra, et pour ma part, avec des yeux d'octogénaire s'ils voient encore.






Mon automobile
En pratique, je pense la laisser ici pour 3-4 mois (entre juin et septembre 2010) et aller au Canada en avion pour voir la famille, les amis, la Viréole (qui m'en voudra sûrement de la mettre en vente), et pour m'occuper de mes effets personnels.


J’ai reçu la confirmation du bureau des douanes mexicaines que cela est permis. Par contre, il m’est interdit de vendre la voiture ou de la laisser conduire par d’autres.


Il me plairait de retourner au Canada en la conduisant au travers de l’ouest du Mexique et des U.S.A; de m’arrêter un jour ou deux en Alberta pour visiter mon fils Claude… Mais le tout, avec le voyage de retour, me paraît excessif dans les conditions actuelles





Et alors? Qu’en dis-tu?


Même si tu n’avais rien à dire à ce sujet, recevoir des nouvelles de toi me fera un grand plaisir.

¡Hasta pronto!

Paul le forestier


Pour une oie sauvage
Un jour je me suis pris
Aujourd’hui, pour un colibri
Pure folie que d’être sage.





Les photos accompagnant ce texte ont été prises :



À la Viréole:















Au Mexique :










En Géorgie, novembre 2008 :










Les photos ont été prises par
© 2009. Tous droits réservés.














vendredi 13 novembre 2009

Cocodrilos

Introducción. Cocodrilos de tamaño grande son comunes en los humedales de la Costa de Oaxaca. Esos animales son a la vez apacibles y peligrosos. Suscitan nuestra curiosidad, pero imponen respeto. En este articulo (en francés, con 15 fotos), cuento algunas aventuras directas e indirectas que me ocurrieron con estas bestias durante mis excursiones fotográficas.

Introduction. Les crocodiles (cocodrilos en espagnol) de forte taille sont communs dans les milieux humides de la Côte du Oaxaca. Ce sont des animaux à la fois paisibles et dangereux. Ils suscitent la curiosité et imposent le respect. Je raconte ici quelques aventures directes et indirectes que j’ai eues avec ces bêtes au cours de mes pérégrinations photographiques. Le tout est illustré avec 15 photos.

Introduction. Large crocodiles are common in the mangroves and lagoons of the Coast of Oaxaca. These animals are altogether peaceful and dangerous. They arouse our curiosity and impose respect. In this story (written in French, with 15 photos), I tell some of the direct and indirect encounters that I had with those beasts during my photographic outings.


* * *


1. Culture de fleurs pour la fête des morts et la Toussaint aux environs de Ventanilla
© Paul Germain, 2009
Suggestion: un clic sur les photos pour les agrandir; retour au texte en cliquant sur la flèche dans le coin gauche supérieur de votre écran.


Ventanilla

Novembre. Les días de los muertos viennent de passer. Beaucoup de fleurs des champs ornaient des millions d’autels éphémères. Alors on a prié et on a ri de la mort. On cherche toujours à l’apprivoiser.

Ma panguita ressemble à une tombe. C’est une toute petite chaloupe que j’ai commandée à un artisan zapothèque. Elle est de bois de pin, une ressource de la montagne tempérée. Je l’ai fait enduire de fibre de verre et de résine par un autre artisan, qui apprit son métier aux U.S.A. Ils ont bien travaillé.

Elle est étanche ma petite tombe, et bien profilée. Ce matin, je l’ai mise à l’eau pour la deuxième fois, mais en solo pour une première. À chaque coup de pagaye, elle glisse docilement sur l’eau brunâtre et remplie d’une vie mystérieuse. C’est la mangrove, le marais tropical habité par les palétuviers aux feuilles persistantes, aux racines aériennes et envahissantes. Autour de moi, tout chante la vie et la mort, l’ombre et la lumière.

Elle est heureuse ma panguita, telle une jument depuis des jours à l’écurie, et que l’on sort et monte pour découvrir la saison qui avance. Elle flotte et respire, elle me porte allègrement. Je partage son allégresse. Tout est calme et beauté verdoyante entre les eaux sombres et le bleu intense du ciel. Le silence s’enrichit des cris rauques et bizarres des oiseaux aquatiques. L’air est doux, et les moustiques dorment. Nous naviguons en paix dans les éléments.

À bord se trouve une partie de mon équipement de photographe de la faune; enfin à l’abri des infiltrations : c’est ma première embarcation étanche pour explorer marais et lagunes depuis que je connais le Mexique. Bien sûr, il faut y mettre le prix, et devoir utiliser le vaisseau à des fins qui le justifient. Ce n’est pas le cas de la pêche ni des chaloupes empruntées.

Parlant de pêche, ce sont justement les martins-pêcheurs qui font ce matin l’objet de ma quête. Trois espèces sont communes ici : le grand, au ventre bien roux; le petit qui luit de son vert métallique; entre les deux, le bleu et blanc, qui nous arrive du nord pour passer l’hiver là où le poisson semble inépuisable. C’est de lui qu’il manque des photos pour mon livre.


2. Martin-pêcheur à ventre roux: une espèce tropicale
© Paul Germain, 2009

Difficile d’approche, ce petit futé qui remplit le silence de sa voix de crécelle, avec l’air de me narguer. Je me mets donc à l’affût dans une minuscule crique à l’ombre des palétuviers. Je m’installe dans ma barquette afin de viser avec mon appareil les branches où les martins pourraient se percher entre deux plongées. Puis je me couvre d’un tissu camouflage pour me faire oublier.

Et j’attends. J’observe. Avec les yeux et les oreilles.

Le banc de bois est dur, la position, inconfortable à la longue. Mais, bouger le moins possible. Attendre. Observer. Être attentif. Tout est là : l’attention.

Soudain, une autre chose flotte devant moi, à quelques mètres. Cela glisse lentement, ridant à peine la surface de l’eau noire. Cette eau est aussi le miroir des feuillages. Se découpe alors la carapace foncée du crocodile, là, tout près. Ses intentions sont aussi secrètes que son regard est fixe et terne. Ce crocodile est long de presque 4 mètres. Énorme.







3. La chose glisse dans l'eau noire, ridant à peine la surface
© Paul Germain, 2009

J’observe. Mon appareil obéit par quelques clics, car d’abord la photo. Mais je pense aussi.

Je pense aux recommandations de mon collaborateur principal, anciennement guide dans la mangrove. De préférence rester dans le milieu des plans d’eau, éviter les abords plein d’ombre, avec surplomb de végétation : c’est là que les crocos aiment attendre leurs proies, où ils se cachent souvent sous la surface… Je pense, non, je sais que je me suis mis à l’affût exactement dans le domaine des crocos. Et qu’en pense celui qui glisse devant moi?

Surtout (c’est comme avec les ours), ne pas les surprendre, faire du bruit, faire claquer la surface de l’eau, leur dire que tu es là. Alors je saisis un objet dur qui se trouve à mes pieds, et je tape le fond de la panguita, pour qu’elle parle pour moi avec sa gueule de bois.


4. Presque 4 mètres d'une armure redoutable
© Paul Germain, 2009

J’observe cette longue et épineuse armure, imperturbable en apparence, puissante et implacable de toute évidence. En une fraction de seconde, ce muscle monstrueux comme un immense bras de fer pourrait nous chavirer, la panguita et moi, seulement pour réclamer sa paix et son lieu. Et je pense (difficile de stopper l’imagination) : adieu mon équipement si chèrement acquis et appris! Mais peut-être le pire : je suis dans l’eau, empêtré dans mon camouflage et les branches mortes, cherchant à sauver mon appareil, et à me sauver moi-même; le crocodile pourrait bien achever sa réprimande en refermant ses terribles mâchoires sur quelque partie de mon corps et l’en amputer… Un mauvais rêve? Pour le moment, oui. Mais pour d’autres, c’est du vécu; c’est aussi du mourut.

Je me vois quelque peu apeuré. Rare moment. Je domine ma peur. Je me convaincs que cet animal ne veut pas prendre ma place, qu’il sait que je suis là, qu’il préfère continuer à glisser lentement vers un autre lieu de sa prédilection...



5. Il pleut des fleurs que la brise pousse sur la surface de l'eau
© Paul Germain, 2009

Ainsi se termina l’épisode.

Les martins-pêcheurs nordiques pêchèrent sournoisement devant moi, et s’en allèrent se percher à quelque distance, hors de portée. J’observai d’autres oiseaux avec intérêt, et je me laissai tenter en tant que photographe par la beauté tranquille des fleurs vermillon qui flottaient sur des eaux aux reflets multicolores.


Zapotengo

C’était en mars 2008. Avec mon ami et collaborateur, j’explorais d’autres lagunes, d’autres mangroves. Celles de Zapotengo ne sont pas aussi populaires que Ventanilla. Le paysage, la flore et la faune sont passablement différents, bien que situé à moins de 25 km à l’est d’ici. Intéressante, cette diversité. Mais mon propos en cet instant concerne les crocodiles.

Comme à Ventanilla, il y en a de très gros à Zapotengo. Parfois, ils viennent sur la plage de la lagune pour dévorer… des carcasses de poulets que leur offrent des guides locaux afin de rendre le spectacle plus saisissant. Et ainsi tentent-ils d’attirer la clientèle « écotouristique». Ouais… taisons tout commentaire à ce sujet.

Devrais-je avouer que j’en ai fait mon propre profit? Je n’avais alors jamais vu des crocodiles sauvages et immenses marcher sur une plage. Celui-là avait l’air presque domestiqué. Mais toujours avec ce regard inexpressif au sein d’yeux aux contours féroces et sous lesquels se profile parfois un large sourire acéré. À la fois sympathique et menaçant, si se peut.

Connaissant très peu cet animal, mais avide de prendre moi aussi des photos saisissantes, j’allai jusqu'à me coucher sur la plage auprès de l’un d’eux, afin de mieux le… croquer! J’avais tout de même un peu peur qu’il me croque à son tour. Mais là encore, je dominais ma peur en me convainquant que les guides, eux, connaissaient le tabac et ne m’auraient pas laissé prendre de trop grands risques. Et puis, je prétendais ne pas ressembler beaucoup à un poulet (ce qui, du point de vue du croco, n’est peut-être pas évident).

Il n’y eut pas d’autre dénouement que la série de photos en dents de scie dont je propose ici quelques choix.



6. Salut! Une petite faim ou... (il sort de la lagune de Zapotengo)
© Paul Germain, 2009



7. - Tu veux que je te prenne pour le poulet que tu es? (il montre les dents)
© Paul Germain, 2009


8. ... mmmm, pour mon portrait sur Internet, je veux bien être docile (heureusement, malgré les apparences, il est intelligent)
© Paul Germain, 2009
Rappel: un clic sur les photos pour les agrandir. Détails intéressants!


9. Ah! ces touristes, c'est tout ce qu'ils veulent: des photos de nous, les autochtones! (il s’en va, je pense qu’il en a marre…)
© Paul Germain, 2009

On peut rire, mais…

En ce temps là, nul ne se doutait que sur la côte du Oaxaca, dans les environs d’ici, un pêcheur bien aguerri, ayant passé sa vie dans les lagunes en compagnie des crocodiles, y laisserait sa jambe, son sang… et sa vie. Cela s’est passé un mois plus tard, en avril 2008. Je venais de faire la connaissance d’Alejandro au cours d’une réunion à Puerto Escondido. Il faisait partie de la direction du Réseau des milieux humides de la Côte, et il participait à la décision du Réseau d’appuyer notre projet de guide sur les oiseaux. J’avais eu l’occasion d’apprécier la qualité du rapport humain avec cet homme.

Au cours d’une pêche, il tomba dans l’eau et un crocodile, surpris, lui arracha la jambe. Il perdit tout son sang par défaut de soins d’urgence appropriés. La nouvelle de l’accident fatal se répandit dans le pays comme une nuée d’oiseaux noirs. Nous fûmes tous atterrés. Ce n’était pas à Zapotengo, mais près d’un village que je ne connaissais pas.

Vainilla

Il y a à peine une semaine, je me rendis dans la petite communauté de Vainilla, à quelque 20 km à l’ouest de chez moi. C’est le Réseau qui me suggéra cette visite exploratoire à la mangrove et la lagune de Vainilla. Je devais y trouver Ernesto, président de la coopérative écotouristique locale, «Playa Tilapias».


10. Ernesto est un enthousiaste des oiseaux. Il nourrit plein de projets pour la coopérative qu'il préside.
© Paul Germain, 2009


Ernesto, avec d’autres membres de la coopérative, m'accueillit avec enthousiasme, simplicité et cordialité. L’exploration des lieux en chaloupe et à pied fut intéressante. Je pus même prendre mes meilleurs photos du Grand Héron (oui, le même qu’au Québec) dans ses quartiers d’hiver. Évidemment, il y avait aussi des crocodiles, car ils ne sont pas rares dans le pays. Ernesto et moi étions d’accord sur l’intérêt prioritaire que présentent les oiseaux, mais il devait être un peu surpris de mon manque d’intérêt pour ces bois flottants sans personnalité qui semblent être les habitants les plus paresseux de la mangrove.


11. Envol du Grand Héron dans la lagune de Vainilla
© Paul Germain, 2009

Après la tournée sur le terrain, nous eûmes une conversation assez prolongée sur tout et sur rien, question de se connaître un peu et de profiter de la brise rafraîchissante qui se faisait sentir sous la palapa. On m’offrit un grand verre de limonade naturelle, puis deux… et tout allait merveilleusement bien. En plus d’Ernesto et moi, il y avait Teresa et deux de ses quatre filles; Veronica et Esmeralda sont déjà des jeunes femmes.


12. Esmeralda est zapothèque et albinos. Elle adore sa perruche (dont la capture et le commerce sont interdits).
© Paul Germain, 2009

L’intérêt relatif des crocodiles dans les milieux humides de la Côte revînt dans mes propos. Nonobstant le fait que cette faune quasi mythique attire des milliers de visiteurs, je prétendis que pour l’observateur moyen, comme moi, ils sont peu intéressants, car, la plupart du temps, il ne se passe rien. Rien que du bois flottant, absolument flegmatique. J’ajoutai que le public est très attiré par ces bois flottants parce qu’ils représentent un grand danger potentiel, ou imaginaire, tellement ils ont de fait tué des personnes dans le monde. Comme les ours. Et j’ajoutai, en m’emballant quelque peu, qu’ils ne sont pas si dangereux qu’on aime le croire…et bla bla bla, et bla bla bla… Rien de tout cela ne semblait étonner personne et j’avais même l’impression d’un certain consensus à ce sujet.

La conversation prit une autre direction. Les minutes passèrent, agréablement.

Teresa, dans la quarantaine, m’apparût intelligente et son visage me plût… Naturellement, je lui posai la question (en espagnol) :
…Et qu’est-ce que ton mari fait dans la vie?
− Il est mort, il y a un an et demi…


Ernesto intervînt aussitôt :
− Un crocodile lui a arraché la jambe, alors qu’il pêchait dans la lagune.

Un seau d’eau glacée me tombant sur la tête n’aurait pas fait pire. À l’instant, je repensai à Alejandro, car c’était bien de lui qu’il s’agissait. Je n’avais jamais enregistré le nom du lieu : Vainilla ! Si au moins j’avais eu conscience d’être dans la communauté où cela s’était passé, j’aurais pu modérer mes propos. Mais le mal était fait. J’étais estomaqué et ma gorge se serra.

Je m’excusai auprès de Teresa. Elle se mit à pleurer. J’avais mal pour elle. Et pour les deux filles, dont le père avait été tué par un crocodile, dans cette même lagune que lui et la bête avaient partagé toute leur vie.

Le moment fut pénible, mais ne dura pas. Aucune amertume chez ces personnes généreuses.

Une demi-heure plus tard, j’annonçai mon départ (j’aurais mieux fait de demander la permission de quitter), et je me levai pour saluer et ramasser mon équipement. Au moment où je donnai la main à Teresa, elle m’invita gaiement à partager le repas avec eux, repas qu’il fallait préparer. Je fus touché par cette disponibilité, et tout mon être a dit oui.

Elles se mirent à la cuisine. Puis vinrent Veronica et Esmeralda pour nous servir, Ernesto et moi, tandis que les trois femmes mangèrent sous la petite palapa voisine. Ainsi se font les choses, à la fois de cœur et de tradition, parfois de contradiction.

Ainsi va ma vie.



13. La Grande Aigrette est-elle en danger? Non, papa croco n'est pas à l'affût. Il baille au soleil de Ventanilla.
© Paul Germain, 2009


14. Jeune crocodile d'environ un mètre de long, dans la mangrove de Ventanilla. Au fond : les racines de palétuviers rouges.
© Paul Germain, 2009


15. Bébé croco dans la lagune de Palmasola, à 10 km à l'est de Puerto Escondido. Il mesure environ 30 cm.
© Paul Germain, 2009

Conclusion
La future génération semble assurée. Et puis, après tout, ces crocos ne sont peut-être pas si ennuyants!

lundi 17 août 2009


Le soixante-et-dixième


Soumis aux influences fastes et néfastes de quelques astres connus et astéroïdes anonymes, je naquis un 27 mars.

Le cosmos opérant de manière singulière, j'arrivai accompagné d'une petite sœur jumelle.

À cette échelle de l'univers, sa vie et la mienne se résument à peu de choses. Elle mit au monde cinq enfants, puis s'en alla emportée par une maladie pulmonaire. Pour ma part, j'ensemençai quelques humbles jardins de terre rouge, voluptueuse et féconde.

Mars et Vénus se disputent encore le cadre de mon dernier souffle.

Grâce à cette indécision des corps célestes, je peux écrire cette histoire d'un soixante-et-dixième anniversaire qui fut à la fois faste et néfaste, à l'instar de tous les événements de ma vie téléguidée.


*
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Depuis des années, peu m'importe ce qui se passe à mon anniversaire. Je laisse venir les choses, et je participe volontiers à la fête, si quelque ami ou amie l'organise. À mon 69e, du matin au soir je fus entouré d'arbres et d'oiseaux. Je n'ai vu personne, et la fête, celle de tous les autres jours, fut bonne et entière.

Deux facteurs me poussèrent à organiser moi-même une grande fête à l'occasion de mon 70e. D'abord le fait d'avoir participé à l'anniversaire de Laura en avril 2008: sur le site accueillant et festif de Punto de Equilibrio à un km de Ventanilla, elle fêtait son 30e avec un grand nombre d'amis de la région, et beaucoup de villageois. Je me senti membre de la communauté dans laquelle déjà de travaillais, et cela me donna l'idée d'organiser, à l'occasion de mon anniversaire en 2009, une fête semblable pour marquer ma solidarité. Le prétexte anniversaire me paraissait d'autant plus approprié que j'atteignais l'âge symbolique et vénérable de 70 ans. Ce fait même me semblait à la fois incroyable, terrifiant et rigolo.



La piscine et les premiers arrivés à Punto de Equilibrio, le 14 mars 2009

Soulignons que dans une petite communauté comme celle de Ventanilla, toutes les familles organisent des fêtes auxquelles tous sont invités d'office (baptêmes, anniversaires de 15 ans, etc.). Par-dessus tout, il m'importait de m'insérer dans la communauté où j'allais vivre pour plus d'un an. Inviter tout le monde et lui dire de manière concrète: Au fond et malgré les différences de peau, de langue et de culture, je suis des vôtres, merci pour votre accueil, travaillons ensemble pour améliorer nos vies. Oui: passablement idéaliste, une faiblesse qui ne m'a jamais quitté.

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Début 2009, je rêvais d'un voyage en France pour la fin de mars. Par conséquent, c'est pour le 14 mars que je réservai le site Punto de Equilibrio avec sa pelouse arborée, sa piscine, son bar, son grill, et son personnel. Tout cela à quelques pas de ma cabana, tout en bas de la colline.

Avec le chef Memo, nous décidâmes du menu qui allait comprendre du thon rouge bien tendre à peine saisi, du poulet épicé à l'américaine, et tout ce qu'il fallait comme sauces et accompagnements. Pour boire: la bière, le vin, et des rafraîchissements. Le tout pour 70 personnes, le nombre étant à la fois approprié et symbolique.

J'avais conscience des frais dans lesquels je m'engageais. Une folie peut-être, mais une fois dans une vie, et vers la fin sans doute, cela me paraissait en même temps très raisonnable. Surtout avec ma motivation principale: manifester mon appartenance et ma solidarité.

À retenir que cette intention était particulièrement dirigée vers ma coopérative: les membres de la coopérative qui m'accueillent et collaborent à mon projet de guide d'identification des oiseaux de la Côte.

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Deux semaines avant l'événement, dont la préparation était sous contrôle, je commençai de distribuer à la ronde des invitations écrites sur de petits cartons. Cela afin que le mot se passe, et que l'on ne m'oublie pas, le jour venu.

Chaque fois que je rencontrais une connaissance dans les villages à 10 km autour de Ventanilla, je déclamais mon invitation, appuyée du petit carton.

J'avais l'impression de savoir faire les choses bien correctement et efficacement. Toutefois, j'entretenais aussi un vague doute sur l'issue de tout ce branlebas. Y a-t-il quelque chose qui ne va pas aller ?

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Dans le minuscule patelin côtier de Ventanilla, il y a deux coopératives qui offrent essentiellement le même produit: des excursions guidées en chaloupe dans la mangrove. Les deux proposent l'observation des crocodiles, iguanes, tortues géantes, et de toute une variété d'oiseaux aquatiques spectaculaires.

Là, on fait semblant d'être heureux du partage de la ressource écotouristique. Mais si la ressource naturelle paraît inépuisable, la clientèle et les revenus se font plus rares pendant une bonne partie de l'année. Et puis, le seul fait que quelqu'un ait mis sur pied une deuxième « coopérative » dans ces conditions n'est-il pas source de conflits et d'appréhensions ?

Je savais cela en distribuant mes invitations, mais je retenais comme juste ce que m'en avaient dits certains guides: oh, ça va, ça va…la ressources est pour tout le monde.

En pérégrination matinale quelques jours avant le 14 mars, je rencontrai un petit groupe de guides de l'autre coopérative. Spontanément, j'eu envie de dissiper leur possible doute à savoir s'ils étaient eux aussi invités à mon anniversaire. Bien sûr, ils sont membres de la communauté, plus que moi-même, et je n'exclue personne qui veut bien venir fêter. Je les invitai donc avec le ton de celui qui ne ment pas.

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Le 14 mars fut une journée radieuse. Tout était à point, à quelques détails près.



Chaud après-midi de mars



Fani et son fils Zuriel


Mon ami Eric-Manuel et sa maman, Dalila



Le chef Guillermo à la cuisine


Fani, Zuriel et la grand'maman Julia


Bon nombre de mes amis y étaient. Des quelques-uns qui avaient projeté de venir du Québec, seulement Louis et Louise ont pu concrétiser leur participation. Mais les autres y étaient aussi… Plusieurs sont venus des villages avec des cadeaux ! Ça, je ne m'y attendais pas. Certains étaient déjà repartis quand d'autres arrivaient. De sorte que les estimations du nombre total de participants s'accordent autour de… 70. Un succès, à cet égard. Un succès aussi quand à la qualité de la réjouissance. On sourit à y repenser. En somme, une journée faste.



Louis, Louise et Geoff


Annette, Zoé et Antonio


Le jubilaire arborant son T-shirt cadeau

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Et le côté néfaste ?

Dur, dur.

Parmi les invités, je ne pouvais manquer de remarquer la présence des cinq ou six guides de l'autre coopérative. D'autant qu'à leur arrivée, ils m'avaient présenté un grand flacon de vodka, une bouteille choisie.

Il est toutefois des absences qui se remarquent encore plus que la présence. Elles vous siphonnent l'imagination comme le feraient avec votre sang un million d'anophèles.

De la vingtaine de membres de la coopérative à laquelle je suis associé, aucun ne s'est présenté à la fête, ne fut-ce qu'un moment. Aucun des dirigeants élus, aucune personne d'influence, aucun de mes collaborateurs les plus proches, ou de ceux qui me saluaient si cordialement…

Oh, si ! Un seul: il est venu, saoul, me demander si la piscine était ouverte à tous. À peine si je pouvais le comprendre. Puis il est reparti. Rien de plus.

L'absence (concertée ?) de ma coopérative, à laquelle je souhaitais manifester en priorité ma solidarité, fut pour moi un choc, un ébranlement de taille.

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Dans les jours qui suivirent, j'ai tenté de parler à quelques-uns pour savoir, pour comprendre. Rien que des faux-fuyants. Et jamais aucun ne s'est excusé pour son absence.

En parlant avec un ami, autrefois membre de la coopérative, et possédant une ouverture plus large sur les différences culturelles, la situation m'est apparue la suivante.

Autant je ne pouvais comprendre qu'aucun des membres de ma coopérative n'ait voulu accepter mon invitation, autant ils ne pouvaient comprendre que j'aie invité les membres de la coopérative adverse.

C'est cette adversité larvée, mais opérante, que j'avais ignorée.

J'avais cru mon idéal de solidarité un peu plus partagé. Je ne pouvais imaginer qu'on me fasse l'affront d'ignorer mon invitation, dans une communauté où refuser une deuxième bière est un affront à celui qui vous l'offre.

Inutile de prolonger l'analyse.

J'ai appris à mes dépens que là encore, il eut mieux valu examiner la réalité que de rêver à un monde meilleur. Ou à tout le moins, ne pas oblitérer la vision claire de ce qui est par une imagination, même positive.

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Épilogue. Le froid entre la coopérative et moi dura plusieurs mois. Ne sachant mieux, je me résignai à cela, me disant que l'essentiel était que je leur livre un jour un excellent guide d'identification des oiseaux, conçu pour eux, pour améliorer leur travail et éventuellement leurs revenus.

À ce jour, les sentiments négatifs semblent totalement disparus, et les relations sont plus cordiales et faciles qu'auparavant.

Un dernier petit tour à la piscine? Ça détend, tout de même... Et puis ça peut faire rire ceux et celles qui aiment rigoler. Clin d'oeil à Pao.



Fin d'après-midi à la piscine; Dalila, Éric-Manuel, Mamie, Zoé, Abril et Claire

Pour le diaporama de 40 photos où certains se reconnaîtront, voir mon album Picasa à l'adresse:
http://picasaweb.google.ca/paulgermain07/Mon70e14Mars2009?feat=directlink


Paul Germain
© 2009

Ventanilla, Oaxaca, Mexique
Le 12 août 2009