jeudi 19 novembre 2009

Pour une oie sauvage…




Résidant du nord, je naquis.
Migrateur suis devenu après quelques errances sur la planète. Puis…
Résidant du sud.

Révolution.
Le 16 novembre, j'ai complété ma première orbite ininterrompue autour du soleil mexicain.

Dire que je suis enchanté ? Non – séduit.

Depuis des mois, mon cœur a choisi.
La part de moi qui s'apparente à l'homme-lièvre hésitait. L'oiseau migrateur se croyait obligé à sa nature de migrateur.





Mon cerveau a fait le bilan prévisionnel des profits et pertes. Face au tableau, il s'est rallié au cœur. Le lièvre s'est terré. L'oiseau est devenu résidant du sud.

Non, ce n'est pas une allégorie.
En clair, j'ai décidé depuis peu
de vivre en permanence ici, au Mexique…

Ce n'est pas une petite affaire. Mais si! Ça l’est. Tout dépend du point de vue choisi.

Ma santé
Après bientôt deux années vécues ici (en 4 séjours), je vois que le meilleur moyen pour moi de conserver ma bonne santé pour les prochaines années, c'est de vivre ici en permanence.




 Ma vie professionnelle
Oui, tout en étant retraité, je reprends ici une vie professionnelle dans un climat de créativité, liberté, et coopération jamais connu auparavant. Les activités professionnelles suivantes sont engagées ou envisagées: photographie de nature, enregistrement de chants d'oiseaux, écriture et édition d'un guide d'identification des oiseaux, publication d'un CD sur les chants d'oiseaux de la région, collaboration à des projets d'éducation environnementale, gestion et guidage d'excursions pour l'étude des oiseaux océaniques sur le Pacifique.

Ma famille
C'est la principale pierre d'achoppement. Vivre aussi loin de toute ma famille avec peu de moyens et de goût pour les excursions internationales m’a fait hésiter. Non pas que je m'ennuie. Je ne connais pas l'ennui, sous aucune forme, peut-être. Mais j'aime garder un contact vivant avec les miens, un contact qui évolue avec nous-mêmes, ensemble. Avec la distance, le risque de devenir étranger s'accroît. C'est déjà amorcé, et même depuis longtemps, je le vois dans certains cas. Cela fait sans doute partie des deuils que nous imposent nos propres choix (fussent-ils les meilleurs), quand il ne s'agit pas de maladie ou d'accident.





J'ai l'intention de nourrir au mieux mes liens avec toute ma famille, pour autant qu'il y ait réciprocité. Tant soit peu, j'irai au Canada. Et j'accueillerai ici ceux et celles qui aimeront partager avec moi des jours ensoleillés.


Et puis, il y a l'écriture. Plusieurs m'ont démontré que lorsque le désir de communiquer est authentique, on passe aux actes, on s'écrit, on se lit. Et … on s'accorde aussi des vacances, des silences !

Les amis
Je ressens les mêmes choses par rapport à mes amis du Canada et d'ailleurs. Ils sont de ma famille, de ma famille d'esprit, comme on dit.


Mais comment m'attacher, quand d'innombrables événements m'ont éloigné de mes amis toute ma vie. Je ne puis que souhaiter que ces amitiés soient telles que la joie des retrouvailles soit toujours possible et authentique.


Et puis, il y a toujours l'écriture…

La Viréole
Mes compagnes en furent jalouses !
Elles m'en parlaient comme de ma maîtresse. Oui, j'ai aimé la Viréole.


C'est d'ailleurs cet amour de la terre, des arbres, de l'eau et des plantes et des bêtes avec lesquelles je partage ma respiration, c'est cet amour même qui exalte mon bonheur sur la côte du Pacifique tropical.


Dix hectares de forêt nordique. J'ai vécu avec elle, en elle, avec beaucoup de bonheur, et plein de projets et de rêves.





Je conserve la mémoire de sa beauté et de ce bonheur, et je largue les amarres. Adieu les rêves écologiques à saveur d'érable et de bouleau jaune ! Adieu les hêtres et leur folle production de faînes, adieu tous les oiseaux multicolores, crieurs ou chanteurs, familiers ou secrets qui ont peuplé mes jours de solitude. Adieu brumes et bruines de mai à novembre, adieu neiges et glaces de novembre à mai ! Sans regret, je ne suis plus des vôtres.


















 Voilà ! Je m'emporte dans la poésie du moment, alors que je vous proposais un bilan rationnel. Retour au guichet de la banque : la Viréole est à vendre. Vous pouvez passer le mot.


 

Mes pensions

J’ai mis à jour mes informations à ce sujet. Citoyen canadien et québécois vivant à l'étranger, je recevrai mes pensions de base, tout simplement.


La suppression du supplément de revenu garanti du fédéral (environ 5,000 dollars par an) peut correspondre à la différence du coût de la vie (de ma vie) entre ici et là-haut (c’est près du pôle nord, non ?).


Et puis, je me débrouille très bien ici avec très très peu… et des échanges avec les organismes locaux. Frog power!




 Autres revenus

Comment ne pas espérer obtenir quelques ressources de la vente de la Viréole ?


Une partie de cet argent me permettra d'investir ici dans des projets productifs divers: site Internet, vente de photos d'oiseaux à l'international, promotion des tours pour les oiseaux océaniques, achat d'équipement spécialisé, etc.


Depuis à peine quelques jours, j’ai obtenu l'autorisation de travailler au Mexique contre rémunération. Mon statut migratoire officiel est Biologiste et spécialiste de l’environnement à titre indépendant.




Extrait de mon visa mexicain, mis à jour.

Je sais, je ne suis plus très jeune. Mais je connais ici des amis « immigrés », dans la quasi vieillesse, qui se débrouillent bien pour gagner leur vie sans aucune pension pour les supporter.



Et dans dix ans ? Faites-moi rire ! On verra, et pour ma part, avec des yeux d'octogénaire s'ils voient encore.






Mon automobile
En pratique, je pense la laisser ici pour 3-4 mois (entre juin et septembre 2010) et aller au Canada en avion pour voir la famille, les amis, la Viréole (qui m'en voudra sûrement de la mettre en vente), et pour m'occuper de mes effets personnels.


J’ai reçu la confirmation du bureau des douanes mexicaines que cela est permis. Par contre, il m’est interdit de vendre la voiture ou de la laisser conduire par d’autres.


Il me plairait de retourner au Canada en la conduisant au travers de l’ouest du Mexique et des U.S.A; de m’arrêter un jour ou deux en Alberta pour visiter mon fils Claude… Mais le tout, avec le voyage de retour, me paraît excessif dans les conditions actuelles





Et alors? Qu’en dis-tu?


Même si tu n’avais rien à dire à ce sujet, recevoir des nouvelles de toi me fera un grand plaisir.

¡Hasta pronto!

Paul le forestier


Pour une oie sauvage
Un jour je me suis pris
Aujourd’hui, pour un colibri
Pure folie que d’être sage.





Les photos accompagnant ce texte ont été prises :



À la Viréole:















Au Mexique :










En Géorgie, novembre 2008 :










Les photos ont été prises par
© 2009. Tous droits réservés.














vendredi 13 novembre 2009

Cocodrilos

Introducción. Cocodrilos de tamaño grande son comunes en los humedales de la Costa de Oaxaca. Esos animales son a la vez apacibles y peligrosos. Suscitan nuestra curiosidad, pero imponen respeto. En este articulo (en francés, con 15 fotos), cuento algunas aventuras directas e indirectas que me ocurrieron con estas bestias durante mis excursiones fotográficas.

Introduction. Les crocodiles (cocodrilos en espagnol) de forte taille sont communs dans les milieux humides de la Côte du Oaxaca. Ce sont des animaux à la fois paisibles et dangereux. Ils suscitent la curiosité et imposent le respect. Je raconte ici quelques aventures directes et indirectes que j’ai eues avec ces bêtes au cours de mes pérégrinations photographiques. Le tout est illustré avec 15 photos.

Introduction. Large crocodiles are common in the mangroves and lagoons of the Coast of Oaxaca. These animals are altogether peaceful and dangerous. They arouse our curiosity and impose respect. In this story (written in French, with 15 photos), I tell some of the direct and indirect encounters that I had with those beasts during my photographic outings.


* * *


1. Culture de fleurs pour la fête des morts et la Toussaint aux environs de Ventanilla
© Paul Germain, 2009
Suggestion: un clic sur les photos pour les agrandir; retour au texte en cliquant sur la flèche dans le coin gauche supérieur de votre écran.


Ventanilla

Novembre. Les días de los muertos viennent de passer. Beaucoup de fleurs des champs ornaient des millions d’autels éphémères. Alors on a prié et on a ri de la mort. On cherche toujours à l’apprivoiser.

Ma panguita ressemble à une tombe. C’est une toute petite chaloupe que j’ai commandée à un artisan zapothèque. Elle est de bois de pin, une ressource de la montagne tempérée. Je l’ai fait enduire de fibre de verre et de résine par un autre artisan, qui apprit son métier aux U.S.A. Ils ont bien travaillé.

Elle est étanche ma petite tombe, et bien profilée. Ce matin, je l’ai mise à l’eau pour la deuxième fois, mais en solo pour une première. À chaque coup de pagaye, elle glisse docilement sur l’eau brunâtre et remplie d’une vie mystérieuse. C’est la mangrove, le marais tropical habité par les palétuviers aux feuilles persistantes, aux racines aériennes et envahissantes. Autour de moi, tout chante la vie et la mort, l’ombre et la lumière.

Elle est heureuse ma panguita, telle une jument depuis des jours à l’écurie, et que l’on sort et monte pour découvrir la saison qui avance. Elle flotte et respire, elle me porte allègrement. Je partage son allégresse. Tout est calme et beauté verdoyante entre les eaux sombres et le bleu intense du ciel. Le silence s’enrichit des cris rauques et bizarres des oiseaux aquatiques. L’air est doux, et les moustiques dorment. Nous naviguons en paix dans les éléments.

À bord se trouve une partie de mon équipement de photographe de la faune; enfin à l’abri des infiltrations : c’est ma première embarcation étanche pour explorer marais et lagunes depuis que je connais le Mexique. Bien sûr, il faut y mettre le prix, et devoir utiliser le vaisseau à des fins qui le justifient. Ce n’est pas le cas de la pêche ni des chaloupes empruntées.

Parlant de pêche, ce sont justement les martins-pêcheurs qui font ce matin l’objet de ma quête. Trois espèces sont communes ici : le grand, au ventre bien roux; le petit qui luit de son vert métallique; entre les deux, le bleu et blanc, qui nous arrive du nord pour passer l’hiver là où le poisson semble inépuisable. C’est de lui qu’il manque des photos pour mon livre.


2. Martin-pêcheur à ventre roux: une espèce tropicale
© Paul Germain, 2009

Difficile d’approche, ce petit futé qui remplit le silence de sa voix de crécelle, avec l’air de me narguer. Je me mets donc à l’affût dans une minuscule crique à l’ombre des palétuviers. Je m’installe dans ma barquette afin de viser avec mon appareil les branches où les martins pourraient se percher entre deux plongées. Puis je me couvre d’un tissu camouflage pour me faire oublier.

Et j’attends. J’observe. Avec les yeux et les oreilles.

Le banc de bois est dur, la position, inconfortable à la longue. Mais, bouger le moins possible. Attendre. Observer. Être attentif. Tout est là : l’attention.

Soudain, une autre chose flotte devant moi, à quelques mètres. Cela glisse lentement, ridant à peine la surface de l’eau noire. Cette eau est aussi le miroir des feuillages. Se découpe alors la carapace foncée du crocodile, là, tout près. Ses intentions sont aussi secrètes que son regard est fixe et terne. Ce crocodile est long de presque 4 mètres. Énorme.







3. La chose glisse dans l'eau noire, ridant à peine la surface
© Paul Germain, 2009

J’observe. Mon appareil obéit par quelques clics, car d’abord la photo. Mais je pense aussi.

Je pense aux recommandations de mon collaborateur principal, anciennement guide dans la mangrove. De préférence rester dans le milieu des plans d’eau, éviter les abords plein d’ombre, avec surplomb de végétation : c’est là que les crocos aiment attendre leurs proies, où ils se cachent souvent sous la surface… Je pense, non, je sais que je me suis mis à l’affût exactement dans le domaine des crocos. Et qu’en pense celui qui glisse devant moi?

Surtout (c’est comme avec les ours), ne pas les surprendre, faire du bruit, faire claquer la surface de l’eau, leur dire que tu es là. Alors je saisis un objet dur qui se trouve à mes pieds, et je tape le fond de la panguita, pour qu’elle parle pour moi avec sa gueule de bois.


4. Presque 4 mètres d'une armure redoutable
© Paul Germain, 2009

J’observe cette longue et épineuse armure, imperturbable en apparence, puissante et implacable de toute évidence. En une fraction de seconde, ce muscle monstrueux comme un immense bras de fer pourrait nous chavirer, la panguita et moi, seulement pour réclamer sa paix et son lieu. Et je pense (difficile de stopper l’imagination) : adieu mon équipement si chèrement acquis et appris! Mais peut-être le pire : je suis dans l’eau, empêtré dans mon camouflage et les branches mortes, cherchant à sauver mon appareil, et à me sauver moi-même; le crocodile pourrait bien achever sa réprimande en refermant ses terribles mâchoires sur quelque partie de mon corps et l’en amputer… Un mauvais rêve? Pour le moment, oui. Mais pour d’autres, c’est du vécu; c’est aussi du mourut.

Je me vois quelque peu apeuré. Rare moment. Je domine ma peur. Je me convaincs que cet animal ne veut pas prendre ma place, qu’il sait que je suis là, qu’il préfère continuer à glisser lentement vers un autre lieu de sa prédilection...



5. Il pleut des fleurs que la brise pousse sur la surface de l'eau
© Paul Germain, 2009

Ainsi se termina l’épisode.

Les martins-pêcheurs nordiques pêchèrent sournoisement devant moi, et s’en allèrent se percher à quelque distance, hors de portée. J’observai d’autres oiseaux avec intérêt, et je me laissai tenter en tant que photographe par la beauté tranquille des fleurs vermillon qui flottaient sur des eaux aux reflets multicolores.


Zapotengo

C’était en mars 2008. Avec mon ami et collaborateur, j’explorais d’autres lagunes, d’autres mangroves. Celles de Zapotengo ne sont pas aussi populaires que Ventanilla. Le paysage, la flore et la faune sont passablement différents, bien que situé à moins de 25 km à l’est d’ici. Intéressante, cette diversité. Mais mon propos en cet instant concerne les crocodiles.

Comme à Ventanilla, il y en a de très gros à Zapotengo. Parfois, ils viennent sur la plage de la lagune pour dévorer… des carcasses de poulets que leur offrent des guides locaux afin de rendre le spectacle plus saisissant. Et ainsi tentent-ils d’attirer la clientèle « écotouristique». Ouais… taisons tout commentaire à ce sujet.

Devrais-je avouer que j’en ai fait mon propre profit? Je n’avais alors jamais vu des crocodiles sauvages et immenses marcher sur une plage. Celui-là avait l’air presque domestiqué. Mais toujours avec ce regard inexpressif au sein d’yeux aux contours féroces et sous lesquels se profile parfois un large sourire acéré. À la fois sympathique et menaçant, si se peut.

Connaissant très peu cet animal, mais avide de prendre moi aussi des photos saisissantes, j’allai jusqu'à me coucher sur la plage auprès de l’un d’eux, afin de mieux le… croquer! J’avais tout de même un peu peur qu’il me croque à son tour. Mais là encore, je dominais ma peur en me convainquant que les guides, eux, connaissaient le tabac et ne m’auraient pas laissé prendre de trop grands risques. Et puis, je prétendais ne pas ressembler beaucoup à un poulet (ce qui, du point de vue du croco, n’est peut-être pas évident).

Il n’y eut pas d’autre dénouement que la série de photos en dents de scie dont je propose ici quelques choix.



6. Salut! Une petite faim ou... (il sort de la lagune de Zapotengo)
© Paul Germain, 2009



7. - Tu veux que je te prenne pour le poulet que tu es? (il montre les dents)
© Paul Germain, 2009


8. ... mmmm, pour mon portrait sur Internet, je veux bien être docile (heureusement, malgré les apparences, il est intelligent)
© Paul Germain, 2009
Rappel: un clic sur les photos pour les agrandir. Détails intéressants!


9. Ah! ces touristes, c'est tout ce qu'ils veulent: des photos de nous, les autochtones! (il s’en va, je pense qu’il en a marre…)
© Paul Germain, 2009

On peut rire, mais…

En ce temps là, nul ne se doutait que sur la côte du Oaxaca, dans les environs d’ici, un pêcheur bien aguerri, ayant passé sa vie dans les lagunes en compagnie des crocodiles, y laisserait sa jambe, son sang… et sa vie. Cela s’est passé un mois plus tard, en avril 2008. Je venais de faire la connaissance d’Alejandro au cours d’une réunion à Puerto Escondido. Il faisait partie de la direction du Réseau des milieux humides de la Côte, et il participait à la décision du Réseau d’appuyer notre projet de guide sur les oiseaux. J’avais eu l’occasion d’apprécier la qualité du rapport humain avec cet homme.

Au cours d’une pêche, il tomba dans l’eau et un crocodile, surpris, lui arracha la jambe. Il perdit tout son sang par défaut de soins d’urgence appropriés. La nouvelle de l’accident fatal se répandit dans le pays comme une nuée d’oiseaux noirs. Nous fûmes tous atterrés. Ce n’était pas à Zapotengo, mais près d’un village que je ne connaissais pas.

Vainilla

Il y a à peine une semaine, je me rendis dans la petite communauté de Vainilla, à quelque 20 km à l’ouest de chez moi. C’est le Réseau qui me suggéra cette visite exploratoire à la mangrove et la lagune de Vainilla. Je devais y trouver Ernesto, président de la coopérative écotouristique locale, «Playa Tilapias».


10. Ernesto est un enthousiaste des oiseaux. Il nourrit plein de projets pour la coopérative qu'il préside.
© Paul Germain, 2009


Ernesto, avec d’autres membres de la coopérative, m'accueillit avec enthousiasme, simplicité et cordialité. L’exploration des lieux en chaloupe et à pied fut intéressante. Je pus même prendre mes meilleurs photos du Grand Héron (oui, le même qu’au Québec) dans ses quartiers d’hiver. Évidemment, il y avait aussi des crocodiles, car ils ne sont pas rares dans le pays. Ernesto et moi étions d’accord sur l’intérêt prioritaire que présentent les oiseaux, mais il devait être un peu surpris de mon manque d’intérêt pour ces bois flottants sans personnalité qui semblent être les habitants les plus paresseux de la mangrove.


11. Envol du Grand Héron dans la lagune de Vainilla
© Paul Germain, 2009

Après la tournée sur le terrain, nous eûmes une conversation assez prolongée sur tout et sur rien, question de se connaître un peu et de profiter de la brise rafraîchissante qui se faisait sentir sous la palapa. On m’offrit un grand verre de limonade naturelle, puis deux… et tout allait merveilleusement bien. En plus d’Ernesto et moi, il y avait Teresa et deux de ses quatre filles; Veronica et Esmeralda sont déjà des jeunes femmes.


12. Esmeralda est zapothèque et albinos. Elle adore sa perruche (dont la capture et le commerce sont interdits).
© Paul Germain, 2009

L’intérêt relatif des crocodiles dans les milieux humides de la Côte revînt dans mes propos. Nonobstant le fait que cette faune quasi mythique attire des milliers de visiteurs, je prétendis que pour l’observateur moyen, comme moi, ils sont peu intéressants, car, la plupart du temps, il ne se passe rien. Rien que du bois flottant, absolument flegmatique. J’ajoutai que le public est très attiré par ces bois flottants parce qu’ils représentent un grand danger potentiel, ou imaginaire, tellement ils ont de fait tué des personnes dans le monde. Comme les ours. Et j’ajoutai, en m’emballant quelque peu, qu’ils ne sont pas si dangereux qu’on aime le croire…et bla bla bla, et bla bla bla… Rien de tout cela ne semblait étonner personne et j’avais même l’impression d’un certain consensus à ce sujet.

La conversation prit une autre direction. Les minutes passèrent, agréablement.

Teresa, dans la quarantaine, m’apparût intelligente et son visage me plût… Naturellement, je lui posai la question (en espagnol) :
…Et qu’est-ce que ton mari fait dans la vie?
− Il est mort, il y a un an et demi…


Ernesto intervînt aussitôt :
− Un crocodile lui a arraché la jambe, alors qu’il pêchait dans la lagune.

Un seau d’eau glacée me tombant sur la tête n’aurait pas fait pire. À l’instant, je repensai à Alejandro, car c’était bien de lui qu’il s’agissait. Je n’avais jamais enregistré le nom du lieu : Vainilla ! Si au moins j’avais eu conscience d’être dans la communauté où cela s’était passé, j’aurais pu modérer mes propos. Mais le mal était fait. J’étais estomaqué et ma gorge se serra.

Je m’excusai auprès de Teresa. Elle se mit à pleurer. J’avais mal pour elle. Et pour les deux filles, dont le père avait été tué par un crocodile, dans cette même lagune que lui et la bête avaient partagé toute leur vie.

Le moment fut pénible, mais ne dura pas. Aucune amertume chez ces personnes généreuses.

Une demi-heure plus tard, j’annonçai mon départ (j’aurais mieux fait de demander la permission de quitter), et je me levai pour saluer et ramasser mon équipement. Au moment où je donnai la main à Teresa, elle m’invita gaiement à partager le repas avec eux, repas qu’il fallait préparer. Je fus touché par cette disponibilité, et tout mon être a dit oui.

Elles se mirent à la cuisine. Puis vinrent Veronica et Esmeralda pour nous servir, Ernesto et moi, tandis que les trois femmes mangèrent sous la petite palapa voisine. Ainsi se font les choses, à la fois de cœur et de tradition, parfois de contradiction.

Ainsi va ma vie.



13. La Grande Aigrette est-elle en danger? Non, papa croco n'est pas à l'affût. Il baille au soleil de Ventanilla.
© Paul Germain, 2009


14. Jeune crocodile d'environ un mètre de long, dans la mangrove de Ventanilla. Au fond : les racines de palétuviers rouges.
© Paul Germain, 2009


15. Bébé croco dans la lagune de Palmasola, à 10 km à l'est de Puerto Escondido. Il mesure environ 30 cm.
© Paul Germain, 2009

Conclusion
La future génération semble assurée. Et puis, après tout, ces crocos ne sont peut-être pas si ennuyants!