mercredi 13 janvier 2010

Réjouissances à Puerto

Escondido (2)

(Épisode deux de deux)

En guise de rappel, voici quelques lignes extraites de l’article un.

Tout semble au Mexique prétexte à réjouissance : on boit, on mange, on rit, on danse, on fait de la musique et du bruit, et on chante fort et parfois faux en toutes occasions. Y compris la naissance et la mort, celles des autres bien entendu. […]

Ainsi ai-je eu l’occasion de fêter avec mes amis de Puerto Escondido le Jour des Morts, et la naissance de Jésus …

La Navidad
Dans ce deuxième épisode, nous revoyons Martha et Genaro, avec leurs amis, au cours d’une fête un peu plus éclatée : Noël, ou la naissance d’un illuminé nommé Jésus.



Figure 0. La force des choses: enfant de Mazunte religieusement
(et délicieusement) occupée à allumer un lampion


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Que ce soit bien, mal ou indifférent, c’est ici la seule mention faite de cet enfant charismatique. Apparemment, nous l’avions tous oublié ce soir là. Il y avait bien dans un coin une petite crèche avec les personnages habituels… gardiens de la bonne conscience. Le fait est à noter : malgré l’omniprésence au pays du mezcal de la Virgen de Guadalupe, Madre de Dios, Noël est une fête civile pour un certain nombre de mexicains. Pour ma part, c’est sans regret. On peut aussi rappeler que, au début du 19e siècle, la première constitution mexicaine était vigoureusement anticléricale. Elle fut adoucie, vu la force des choses… (figure 0.)

S’il y a fête, je préfère que ce soit l’occasion de fêter l’amour et l’amitié dans un généreux partage, et que cela nous remplisse d’une joie sereine ou exubérante selon chacun.

Ainsi fut la soirée du 24 décembre 2009 dans la maison de Martha et Genaro.

Contrairement à la manifestation de El Día de los Muertos, cette fois, aucun cérémonial, aucun mythe, aucun symbole vraiment n’ont pris la vedette. Rien à décrire qui soit singulier sur le plan culturel, ou teinté d’un mystère naturel ou surnaturel. En somme, à moins de la vivre pleinement du dedans, une fête assez banale.

C’est ici mon défi : comment narrer cette fête sans panache et réussir à partager la grande joie qui fut la mienne à cette occasion ?!

Je sens que c’est risqué, et je compte sur votre humour pour conserver votre sympathie en cas d’échec.

Au menu : deux dindes
J’ai parlé de générosité : ils attendaient une douzaine de convives, et ils ont préparé deux dindes, deux grosses dindes farcies !

Et de quelle manière? Il n’y a pas de four dans la maison. Alors Genaro met en œuvre une technique aussi ancienne que primitive, comme il adore les emprunter des traditions indiennes du pays. (Il a une formation d’historien, et un goût prononcé pour les modes de vie précolombiens – d’avant la conquête.)


Figure 1. Le four souterrain

 Avec un ami, il a creusé un large trou dans le sol de la cour-jardin, enduit les parois de chaux, et lissé l’ouverture en saillie qui devra être fermée par un grand comal en terre cuite (utilisé encore souvent pour cuire les tortillas, les oeufs, etc.). Au fond du trou, il allumera un bon feu de bois qui donnera des braises pendant des heures et des heures. Sur ces braises et dans l’enceinte fermée du four souterrain, cuiront l’une après l’autre les dindes de Noël.

La coopération va bon train. Pendant que Genaro et Wesley aménagent le four souterrain, un ami, Carlos, et la abuela (maman de Martha) assaisonnent la première dinde.

L’oiseau (mmm… il y a des oiseaux partout!) sera enfermé dans une cuvette métallique que l’on descendra sous terre à la manière d’un cercueil! Mais avant, un feu ardent fournira les braises nécessaires.

Enfin, après quelques heures, la dinde est cuite et juteuse, et ce n’est pas la profaner que de l’exhumer à l’intention des bonnes fourchettes!


Figure 2. Pendant que les uns aménagent le four,
d'autres assaisonnent une dinde


Figure 3. C'est au fond de ce petit volcan
que cuiront les dindes et les patates



Figure 4. Genaro et Agustín inhume une dinde


Figure 5. Bien fermé par un comal d'argile,
le four est constant et économe.


Figure 6. Une dinde bien cuite n'est pas toujours reconnaissable...

Au menu : de la musique et des chansons
Pendant que le repas cuit sous terre, on boit, on joue de la guitare, de la flûte douce, une paire de petits tambours (dont j’ai oublié le nom exact) et on chante à pleine voix des chansons traditionnelles ou populaires du Mexique. Je dis « on » : ce sont ceux qui en ont le talent et l’habitude, ceux que cela ne gêne pas d’être en vedette. En général, ici, des hommes. Mais à moi, il manque le talent!


Figure 7. Wesley à la guitare et Felipe au chant

Genaro est un véritable artiste et boute-en-train. Il joue surtout de la flute douce et de la guitare (il possède plusieurs flutes et change souvent de registre), et il chante avec une énergie communicative. Wesley joue de tous les instruments et chante aussi, c’est un petit doué. L’ex-policier à la retraite, Felipe, est un homme de cœur qui chante avec un enthousiasme débordant : difficile de l’imaginer dans son ancien poste!



Figure 8. Wesley aux tambours et Genaro à la guitare

Ces trois hommes étaient le moteur de la soirée, en quelque sorte. À eux se joignaient, de temps à autre, selon les chansons et les rythmes, d’autres companieros ou companieras. Ce qui m’enchantait le plus, c’était de voir comment des citadins instruits (pas des villageois plus ou moins démunis et traditionnels) réunis « en famille » un soir de Noël, pouvaient ainsi pendant des heures s’amuser et rire (et boire un petit coup, bien sûr) tout en jouant de la musique et en répétant avec une folle énergie les refrains de toujours.


Figure 9. Felipe et Genaro chantent de bon coeur

Je n’ai pas connu cela dans ma jeunesse, dans mon pays. Simple malchance? Cela se pratique-t-il plus souvent au Mexique? Je ne sais pas. Mais ce qui m’arrive maintenant est tout un cadeau en soi. De fait, je n’ai pas attendu (ni reçu) un autre cadeau de Noël…

Au menu : la margarita
Quand elle est bien faite (ce qui n’est pas fréquent), j’adore la margarita. J’ai vraiment découvert ce coquetel typiquement mexicain dans un très bon restaurant de la banlieue de Puerto Escondido, la Guadua. Là seulement j’en boirais à l’excès.

J’ai souhaité partager cette passion nouvelle avec les convives de la Buena Noche, la nuit de Noël. J’étais content d’avoir trouvé une manière personnelle de contribuer matériellement à la fête organisée par mes amis.

J’achetai alors un litre de téquila (eau-de-vie d’agave) et un litre de Controy (liqueur d’orange mexicaine rappelant le cointreau). Je me procurai six verres à coquetel, pour éviter de servir dans les verres de la maison, épais et trop profonds. Je pensais, avec raison, que la margarita n’était pas une habitude dans ce genre de soirée. J’imaginais alors qu’il me faudrait bien manœuvrer pour en faire profiter au moins six personnes (dont moi-même).


Figure 10. Pour la margarita: on commence par la collerette de sel, puis les glaçons auxquels on ajoute le Controy, la téquila et le jus de lime.

Peu après l’arrivée des premiers invités, je proposai de remplacer le premier verre de bière par un verre de margarita. L’idée fut bien reçue, et j’eus rapidement 4 commandes malgré le risque annoncé : je n’avais jamais préparé de margarita, et je suis peu familier avec les coquetels en général.
Les deux ou trois premiers verres ont eu l’air de plaire, car les compliments étaient appuyés par des regards complices.

Et puis ce fut la ruée de presque tous : je n’avais cesse de préparer des margaritas, au point que je devais déclarer la grève pour avoir la chance de m’en préparer un moi-même. Encore qu’il était souvent redirigé vers un convive assoiffé.


Figure 11. Pour certains, la margarita, pour d'autres, le vin ou le Coca-Cola
 
Et l’engouement général s’est poursuivi pendant toute la fête. Felipe, qui se dit un peu macho, n’avait jamais bu de margarita, car dans son milieu, c’est une boisson pour dames… Il a osé un verre, puis un autre et un autre…


Ce n’est donc pas six margaritas que j’ai dû préparer, mais près de cinquante! J’en éprouvai une grande joie, d’autant qu’à la longue, je finis par en ingurgiter quelques verres, constatant moi-même le grand art que j’avais développé spontanément.

On m’a proposé d’ouvrir un bar à margarita afin de gagner ma vie… ¡A ver!

Il y aurait eu de jolies photos à faire autour des margaritas… j’étais trop occupé et trop gai pour appliquer mon autre art à cette fin. Je n’ai que de piètres images pour illustrer mon propos, mais cela me paraît mieux que rien.


Figure 12. Agustín dévore un coquetel de fruits
après un bon nombre d'autres coquetels...

 C’est ainsi que la fête s’est passée, en tout cas selon mon regard et ma sensibilité. Trois points forts comme trois plats de résistance au menu de la fête. Le tout dans une ambiance des plus chaleureuses, où rien, pas même l’alcool, ne vînt troubler l’harmonie du groupe.


J’ai pensé à mes amis du Canada, entre autres, et c’est ainsi que je viens de répondre à leur question : Et toi, comment as-tu passé la fête de Noël?