mercredi 30 décembre 2009

Réjouissances à

Puerto Escondido

(Article un de deux)

Tout semble au Mexique prétexte à réjouissance : on boit, on mange, on rit, on danse, on fait de la musique et du bruit, et on chante fort et parfois faux en toutes occasions. Y compris la naissance et la mort, celles des autres bien entendu.


Entre ces deux moments cruciaux, on imagine facilement le spectre des événements célébrés publiquement : baptêmes, premières communions, anniversaires dont particulièrement celui des 15 ans des jeunes filles (venez voir notre fille : bonne à marier!), mariages, mais aussi les changements de saisons, toutes les fêtes chrétiennes de la Virgen, Madre de Dios, etc., etc.

En général, je me tiens à quelque distance de ces réjouissances, car l’excès de bruit et la nourriture grossière qui est servie dans ces occasions me répugnent. Le bruit est assuré par des lancements en série de fusées explosives et par un équipement audio puissant et poussé à fond par le fournisseur engagé à cette fin. La nourriture mexicaine est en général excellente, parfois raffinée, mais la qualité de ce qu’on prépare en immenses chaudrées carnées et huileuses pour une centaine de personnes ou plus laisse souvent à désirer (selon mes quelques expériences).

Heureusement, il en va autrement pour les fêtes plus intimes réservées à la famille et aux amis proches.

* * *



Figure 1. Fleurs à vendre au bord de la route, San Antonio Tonameca, Oaxaca
Foto: Paul Germain, copyright © 2009

Sise sur un promontoire au bord du Pacifique dans l’état d’Oaxaca, Puerto Escondido est une ville moyenne (40,000 h.), à une heure de voiture à l’ouest de Ventanilla Tonameca, mon lieu de résidence.

C’est là que je vais parfois travailler les textes espagnols de mon guide d’oiseaux avec de merveilleux collaborateurs, devenus de véritables amis. C’est alors dans leur maison que j’habite pour quelques jours. Je me permets de dire, avec leur assentiment, que je fais partie de la famille. J’y suis toujours bienvenu, accueilli chaleureusement, et invité aux événements familiaux.

Ainsi ai-je eu l’occasion de fêter avec eux Le Jour des Morts, et la naissance de Jésus (ainsi dit pour souligner les extrêmes).

El Día de los Muertos
C’est la fin d’octobre, et vous roulez dans une campagne verte émaillée de champs paille ou dorés, parfois oranges. Ce sont les basses terres qui s’étendent entre l’océan Pacifique et les contreforts de la Sierra Madre del Sur, haute chaîne de montagnes qui sépare la côte de la capitale, Oaxaca.




Figure 2. Petit champs de fleurs le 30 octobre 2009
Foto: Paul Germain, copyright © 2009
Rappel: les photos peuvent être agrandies en cliquant une fois dessus.

Les pluies sont terminées, ou presque, et la terre est encore humide et productive. Elle sent bon. Partout des fleurs sauvages continuent à croître et à s’épanouir, de même que les cultures de maïs et de courges, les plantations de bananes et de papayes. Les peuplements encore verts d’ocotillos (arbres prisés pour la construction) qui couvrent les collines toutes proches se sont parés de milliards de petites fleurs blanches qui sèchent et brunissent en quelques jours, formant une mosaïque de teintes chatoyantes comme dans une symphonie printanière.



Figure 3. Colline peuplée d'ocotillos en fleurs; 30 octobre 2009
Foto: Paul Germain, copyright © 2009

Pourtant c’est l’automne. Et vos yeux sont parfois captivés par une large vague orange qui semble onduler là, dans le champ au bord de la route qui défile sous vos roues. C’est intensément orange, et dense comme une mer. Une petite mer de moins d’un hectare. En y regardant bien, vous apercevez un ou deux hommes avec leurs machettes, presque noyés dans cette mer de fleurs orange. Ici ou là, une ou deux rangées de fleurs cramoisies. Et vous voyez que la vague déferle parfois. Et tombent les tiges sur le sol profond.

C’est que le Jour des Morts (el Día de los Muertes) approche. Demain déjà les gens s’arrêteront pour acheter de grands bouquets de fleurs orange avec lesquelles ils décoreront l’autel érigé à domicile pour leurs morts. Un autel à la fois grandiose et simple : une arche faite avec une feuille de cocotier fendue en deux, une table, pleins de choses usuelles offertes aux morts qui reviendront dans la famille pendant deux ou trois jours afin de faire le plein. Le plein de quoi? Oh! Ce doit être surtout affectif et spirituel, car les fruits, les pains et galettes, les plats cuisinés, les verres de jus, d’eau, de bière et le café, et même le mezcal et les cigarettes posés là sur la table à leur intention… Rien de tout cela ne bougera jusqu’à ce que les maîtres de maison redistribuent les victuailles aux vivants. Et cela se pratique depuis des siècles, depuis avant la conquête, et avec les mêmes fleurs (selon la description publiée par Bernardino de Sahagun au XVIe siècle).



Figure 4. Fleurs à couper, le 30 octobre 2009
Foto: Paul Germain, copyright © 2009

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J’arrivai chez mes amis de Puerto Escondido le matin du 31 octobre 2009 pour une réunion de travail.

Martha et Genaro ne sont pas des villageois crédules, mais un couple d’universitaires au jugement critique, et bien informés. Ils ne sont nullement religieux, encore moins superstitieux. Du moins, dans le quotidien habituel. Mais là…!




Figure 5. Peu après mon arrivée    Figure 6. L'autel terminé
Foto: Paul Germain, copyright © 2009


Entrant dans la maison, je trouvai Genaro grimpé sur une table en train de fabriquer l’arche en feuille de cocotier qui allait surmonter l’autel à ses morts. Je m’employai aussitôt à l’aider, pendant que Martha préparait les fleurs orange à piquer dans l’arche. Parfois je prenais du recul pour capter en photos ce spectacle étonnant dans une famille aussi évoluée.




Figure 7. Martha et Genaro décorent l'arche de palme
Foto: Paul Germain, copyright © 2009



Pour la suite des choses, je laisse les photos parler d’elles-mêmes. Tout ce qu’on y voit a été monté ou déposé avec un soin quasi religieux, afin de respecter les besoins des morts, ou à tout le moins, ceux des vivants, programmés à suivre une puissante tradition culturelle. Dans cette tradition, beaucoup d’humour funèbre, on rit de la mort et on la fait rire aussi. C’est en somme une réjouissance, une véritable fête. Des retrouvailles ritualisées avec les chers disparus.




Figure 8. Lupita, fille de Martha et Genaro, prépare un bouquet aux morts





Figure 9. Le chat de la famille suit les choses de près






Figure 10. Le festin des morts se prépare avec soin





Figure 11. Mandarines, tostada de maïs, verre d'eau








Figure 12. Pomme, goyaves, verre de mezcal (alcool d'agave)
Foto: Paul Germain, copyright © 2009





Figure 13. Pains, café, encens et cigarettes, et le mole (sauce épicée)
Foto: Paul Germain, copyright © 2009


Il va sans dire que j’ai également profité des restes, dédaignés par les chers disparus… et par la microfaune bactérienne (ce qui n’était pas toujours le cas).




Figure 14. On se moque de la mort par des calavera,dessins
ou figurines de crânes humoristiques
Foto: Paul Germain, copyright © 2009


Mais ils sont appelés et bienvenus les morts : Entrez! La porte est grande ouverte, et voici de l’encens pour vous attirer chez nous, chez vous!




Figure 15. Bienvenu les morts!
Foto: Paul Germain, copyright © 2009



La Navidad



Dans le deuxième article (bientôt en ligne), nous reverrons Martha et Genaro, avec leurs amis, au cours d’une fête un peu plus éclatée : Noël, ou la naissance d’un illuminé nommé Jésus.